Cavalière dans l’âme
Les amateurs de chevaux ne sont pas tous égaux.
Chère adolescente à cheval qui échange des textos :
Je suis là en bas, simple mortelle en tongs promenant son chien par un après-midi ensoleillé, à Los Angeles.
N’hésite donc pas à m’ignorer, vu l’évidente hiérarchie à respecter. Tu es à cheval et tu pianotes sur ton iPhone 5C.
Je me tiens quelques dizaines de centimètres plus bas (six mains, en langage équestre), et j’éloigne la truffe de mon chien d’une carcasse de mouffette sur le sentier.
Soyons clair, j’ai un iPhone 4S. J’ai choisi ce modèle par radinerie, et sa mémoire ne me permet pas d’actualiser le système d’exploitation et de stocker tous les albums de Peter Gabriel.
Écoute, chère adolescente qui s’ennuie à mourir. Inutile de mentir : je suis impressionnée. D’abord, tu possèdes un immense cheval bai. Ton destrier et toi avez une plus belle chevelure que la mienne. Ces jours-ci, je travaille à la maison. Je peux donc me permettre de me laver moins souvent les cheveux, voire pas du tout. Je me demande parfois s’il existe un lien entre mes habitudes d’hygiène et le fait de ne posséder ni cheval ni iPhone 5C, mais je ne m’attarderai pas là-dessus. C’est un peu comme l’histoire de l’œuf et de la poule, si tu vois ce que je veux dire. Peut-être que tu ne la connais pas. Peut-être que tu ignores tout ce paradoxe de causalité car tes parents te nourrissent en même temps de poules et d’œufs, en une salade très spéciale dont je n’ai jamais entendu parler, faute de compte d’épargne.
J’aimerais aussi mentionner ton jodhpur. Il est splendide et beige, et sans doute fait sur mesure. En prenant de l’âge, tu comprendras qu’enfiler un pantalon d’équitation sans y penser pour ensuite enfourcher un vrai cheval est extraordinaire. C’est un cadeau de l’univers et du portefeuille d’investissement de tes parents. La plupart d’entre nous devons nous contenter
du choix suivant : un jean affreux, un pantalon kaki humiliant, un survêtement aux conséquences psychologiques dévastatrices et un pantalon professionnel quand il est temps de mendier un emploi. Ce que je veux dire, c’est que tu devrais être soulagée d’avoir pour principale occupation, le vendredi après-midi, de conduire une Range Rover rutilante jusqu’aux écuries où un cheval attend que tu le brosses et lui murmures tes secrets à l’oreille.
Chère adolescente, avec qui échanges-tu des textos ? Il n’y a pas de bonne réponse, sauf si c’est à ton cheval, pour lui dire : « Mille mercis de me trimballer un peu partout. »
Je suppose que ce n’est pas le cas.
Je suppose que tu écris à un type appelé Garfield ou Flint ou encore Blane. Et par conséquent :
Cher cheval supportant l’adolescente qui envoie des textos :
Tu es un animal magnifique.
Autrefois, tu étais l’unique moyen de transport des rois et des reines, et une inspiration pour les acteurs ratés qui échouent au Medieval Times Dinner & Tournament. Aujourd’hui, tu longes une rivière urbaine pleine de boue et tu te fais commander par quelqu’un qui ne sait pas se servir d’une cafetière. Tu mérites mieux ! Viens vivre dans mon garage. Je promets de prendre grand soin de ta crinière… et peut-être même de la mienne.