Brûlé au 3e degré: «J’étais certain que j’allais mourir!»
Sauvé par l’équipe de l’unité des grands brûlés après un terrible accident!
La déflagration est puissante et projette au sol Patrick Molla, ce qui l’a brûlé au 3e degré.
Le soir du 15 janvier 2020, le résident de Gatineau pose un geste qu’il a répété plusieurs fois sans s’inquiéter. Il utilise un accélérant, de l’alcool de bois, pour rallumer le feu de foyer dans son salon. Le contenant explose. «J’étais transformé en torche humaine. Je croyais que j’allais mourir!»
L’alarme incendie, assourdissante, retentit. Le premier réflexe de l’homme de 48 ans est de composer le code de sécurité pour ouvrir la porte patio afin d’aller se rouler dans la neige, mais il n’y parvient pas, car il ne voit que des flammes devant ses yeux. Un de ses fils, âgé de 11 ans, entend ses hurlements depuis sa chambre et vient à sa rescousse. Comme dans un film d’horreur, son père est en feu et le supplie d’ouvrir la porte, ce qu’il réussit à faire. Son épouse, qui était couchée, accourt et tente d’éteindre les flammes avec un extincteur tandis que son autre garçon de 13 ans se précipite à l’extérieur et lance de la neige sur son corps fumant. «Mes enfants m’ont sauvé!», affirme avec émotion Patrick Molla, convaincu qu’ils seraient tous morts si le drame s’était produit quelques minutes plus tôt pendant qu’ils étaient à ses côtés.
Les secours interviennent rapidement. «J’avais la peau rouge avec des plaques blanches, mais je ne souffrais pas, car les nerfs qui perçoivent la douleur étaient détruits dans mon corps». Brûlé sur 62% de son corps, dont 55% au 3e degré, au visage, aux bras, au torse et aux fesses, il reste conscient jusqu’à son transport à l’Hôpital de Hull et est aussitôt transféré par ambulance au CHUM à Montréal, où une équipe médicale le reçoit en salle d’admission de l’unité des grands brûlés.
«Les patients les plus gravement brûlés peuvent rester jusqu’à 4 à 5 heures dans cette pièce qui ressemble à une salle de réanimation», explique le chef de l’unité et infirmier, Mathieu L’Heureux. Entouré d’infirmières et de préposés, un intensiviste procède à l’intubation et installe un cathéter pour administrer du liquide intraveineux «car l’agression thermique provoque une hypothermie qui nécessite aussi que la température de la salle soit augmentée jusqu’à 35 degrés», précise le docteur Ali Izadpanah, plasticien et directeur de l’unité des grands brûlés du CHUM. Il nettoie les plaies et procède à des incisions pour éviter que la peau brûlée au 3e degré, qui n’est plus élastique et devient rigide comme du cuir, forme un garrot et provoque une nécrose des muscles et des nerfs qui nécessiterait une amputation.
Un risque bas de survie
Recouvert de pansements de la tête aux pieds, Patrick Molla ressemble à une momie lorsqu’il est conduit à sa chambre pendant que son épouse, convoquée par les médecins, apprend qu’il a seulement 30% de chances de survie. «Je suis mort à plusieurs reprises», dit-il sur un ton grave. Il a successivement des infections, une embolie pulmonaire, un affaissement des poumons, une crise cardiaque et a de la dialyse, car ses reins fonctionnent mal. Pendant son hospitalisation, il est transporté onze fois en salle d’opération pour subir des greffes cutanées. Le plasticien enlève les brûlures couche par couche, puis prélève un morceau de peau à un endroit qui a été épargné, de préférence au niveau des cuisses où il y a moins de rigidité, et le greffe là où le derme et l’épiderme ont été endommagés.
«Lorsqu’un patient est brûlé sur 20% de son corps, il y a beaucoup de peau non endommagée disponible, ce qui n’est pas le cas lorsqu’on atteint 40, 50 ou 60% du corps. Pour protéger le corps, il faut utiliser temporairement des tissus cutanés de donneurs cadavériques, que conserve Héma-Québec, et qui sont rejetés par l’organisme après environ deux semaines», explique Mathieu L’Heureux. Le chirurgien les retire afin de les remplacer par la nouvelle peau du patient qui met le même temps à se régénérer sur un site déjà prélevé. Il peut le faire jusqu’à trois fois, mais n’utilise jamais celle du visage et du cou, pour des raisons esthétiques.
Reprenant progressivement connaissance après avoir été plongé pendant deux mois dans le coma, Patrick Molla ne peut pas parler ni bouger. Sa masse musculaire a fondu et son poids est passé de 82 à 54 kilos. «Habituellement, un patient va rester dans l’unité au moins une journée pour chaque pourcentage de brûlure. Ça peut être plus long quand il y a des complications», précise le docteur Izadpanah.
Patrick Molla, adepte de la bonne forme physique, déjoue les pronostics et quitte le centre hospitalier deux mois et demi après son arrivée et séjourne une semaine dans un centre de réadaptation avant de poursuivre sa rééducation à domicile.
«Je dois la vie à l’équipe de l’unité des grands brûlés du CHUM!»
La gestion des hôpitaux
Ce centre d’expertise pour victimes de brûlures graves de l’ouest et du nord du Québec dispose de 9 lits et reçoit annuellement jusqu’à 150 patients, en plus d’assurer les soins de mille autres en clinique externe. Une centaine de grands brûlés de l’est de la province et du Nouveau-Brunswick sont pour leur part référés à l’unité de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus du CHU de Québec-Université Laval qui compte 10 lits et qui accueille 4000 patients en clinique externe. Tous les enfants sont quant à eux admis au CHU Ste-Justine.
«Les patients brûlés sur 70 à 80% de leur corps sont les plus à risque de mourir, explique Andrée-Anne Leclerc, infirmière et chef du service de traumatologie et des grands brûlés du CHU de Québec. Certains sont tellement en état de choc qu’une infirmière doit être constamment à leur chevet. Ils sont hospitalisés pendant de longs mois pour ensuite passer plusieurs années en réadaptation.»
Les plasticiens et les intensivistes de garde déterminent si les patients doivent être admis dans une unité des grands brûlés, en analysant les dossiers médicaux et les photos transmises par les urgentologues des centres hospitaliers où ils ont été admis en premier.
«L’American Burn Association a établi des critères d’admission approuvés par le ministère de la Santé du Québec, explique la docteure Ariane Bussières, spécialiste en chirurgie plastique et directrice médicale du Centre d’expertise pour les victimes de brûlures graves de Québec. Une personne de 50 ans et plus, brûlée au 2e et 3e degré sur plus de 10% de son corps, et une autre de 16 à 50 ans atteinte à 20%, rencontrent ces conditions, tout comme celles dont le visage, les mains, les pieds, les organes génitaux et les articulations sont touchés au 3e degré, sans oublier les brûlures par inhalation, celles qui sont profondes et font le tour d’un membre, ou encore les brûlures électriques et chimiques.»
Le 20 septembre 2021 restera gravé dans sa mémoire alors qu’un code orange, c’est-à-dire la réception massive de blessés, a été déclenché. Six ouvriers ont été transférés à l’unité des grands brûlés de Québec à la suite d’un incendie dans une entreprise de séchage et de transformation de bois à Beauceville. Trois d’entre eux, brûlés au 3e degré sur 90% de leur corps sont décédés. Il est difficile d’affronter la mort qui peut survenir jusqu’à 8 fois par année dans chacune des deux unités. «Lorsqu’il n’y a plus rien à faire, la famille peut demander un arrêt des traitements», explique la docteure Bussières. « On leur offre de mettre une musique douce dans la chambre et on les accompagne dans cette épreuve», racontent les infirmières cliniciennes Emmanuelle Bélanger et Catherine Asselin du CHU de Québec-Université Laval, qui voudraient tous les sauver.
«Imaginez quand vous avez une personne de 19 ans qui est brûlée sur 95% de son corps et qu’il faut annoncer à ses parents que c’est la fin», exprime avec un soupir le docteur Izadpanah. Mais il y a des miraculés!
L’histoire de Roxanne
Une jeune femme de 28 ans illustre ce que la docteure Bussières a toujours voulu faire: sauver des vies. Le soir du 23 juillet 2022, Roxanne Marcotte est seule au volant de son auto sport sur une route de campagne à Saint-Basile, dans la région de Portneuf, lorsqu’elle emboutit violemment un poteau électrique. Des câbles sous tension s’affaissent et mettent le feu à son véhicule. Malgré deux vertèbres cervicales fracturées, elle réussit à s’extirper in extremis de l’amas de ferraille en feu tandis qu’un passant lui porte secours. «Je n’ai aucun souvenir de l’accident», raconte Roxanne, brûlée sur 80% de son corps et transportée à l’unité des grands brûlés de Québec où elle est hospitalisée durant 297 jours et amputée de la jambe gauche, sous la rotule.
Elle subit 36 opérations, dont 30 greffes de peau, et profite d’un essai clinique et de la découverte de la chercheuse en génie cellulaire et professeure Lucie Germain de l’Université Laval qui reconstitue le derme et l’épiderme des victimes en prélevant des cellules de leur peau et en les multipliant en laboratoire. «J’ai eu de nombreuses complications, AVC, arrêt respiratoire, pneumonie et bactéries sur la peau, qui ont prolongé mon séjour de plus de 4 mois», se désole Roxanne. «Les grands brûlés sont parmi les plus malades de l’hôpital et les infections peuvent affecter tous leurs organes», explique la docteure Bussières.
Les infirmières se relaient au chevet de Roxanne pour changer ses pansements, alors qu’un physiothérapeute intervient pour qu’elle conserve une certaine mobilité même si elle est endormie. «La douleur d’un grand brûlé est atroce durant les périodes de greffes», indique l’infirmière Emmanuelle Bélanger. «Même s’ils sont gardés sous sédation, nous leur parlons, ajoute sa collègue Catherine Asselin. Quelques fois, ils froncent les sourcils pour nous indiquer qu’ils entendent». Roxanne, qui est restée dans le coma durant presque 3 mois, se rappelle leurs voix réconfortantes. «Les infirmières et mes parents me répétaient ce qui m’était arrivé. Mon cerveau a tout enregistré et lorsque je me suis réveillée, je savais où j’étais et ce qui s’était produit!»
Quand Roxanne quitte finalement l’unité en mai 2023, l’équipe soignante forme une haie d’honneur pour souligner son courage. La battante a d’abord cru que ses passions étaient disparues à tout jamais. Adieu les chorégraphies et les cours de danse qu’elle donnait de même que les compétitions de Go Kart! Maintenant qu’elle est suivie en clinique externe et qu’elle poursuit sa réadaptation, la technicienne en pharmacie voit les choses différemment et souhaite retourner au travail bientôt et recommencer à vivre intensément. «J’assiste déjà aux cours de danse de mes jeunes de 13 à 18 ans et ça me fait du bien!»
Patrick Molla ne s’apitoie pas sur son sort lui non plus, mais est plus émotif. «Quand j’étais jeune, mon grand-père m’avait mis en garde contre les accélérant en me disant que j’allais me brûler un jour, mais je ne l’ai pas écouté.» Maintenant il est inquiet quand il aperçoit des campeurs qui en utilisent pour allumer des feux et va les voir pour raconter son histoire. Le courtier immobilier n’a pas cessé de s’entraîner pour reprendre la forme et a porté durant un an des vêtements compressifs pour aider la cicatrisation, en plus d’avoir recours à des interventions au laser et des tatouages qui ont amélioré son apparence.
Un an après avoir quitté le CHUM, il a senti le besoin d’y retourner. «Je voulais les remercier. C’est comme ma deuxième famille!»
Un modèle pour les autres
Un infirmier lui a alors demandé de rencontrer un jeune électricien de 29 ans, Samuel Despatie-Simard, victime d’un accident de travail en octobre 2020. Il a reçu une décharge qui a provoqué des brûlures au 3e degré sur 50% de son corps. Six semaines dans le coma et une dizaine d’interventions chirurgicales – dont des greffes aux paupières qui ont été suturées pour empêcher qu’il cligne des yeux – et les interdictions de visites en pleine pandémie de COVID-19 ont mis son moral à plat. Il a aussi subi un choc lorsqu’il a vu pour la première fois son visage brûlé dans un miroir. «Je voulais me laisser aller! Mais Patrick Molla m’a montré ses blessures et m’a convaincu que je peux vivre autrement». C’est ce qu’il fait chaque jour avec son amoureuse, rencontrée 3 ans avant le drame, et qu’il craignait de perdre en raison de son aspect physique. «Notre amour est plus fort que tout. Nous nous sommes battus ensemble. Je ne vois plus ses brûlures», dit avec tendresse Vanessa Côté, qui remarque que ses traitements au laser continuent à améliorer sa physionomie.
Samuel veut aider à son tour. Lors de ses traitements dans un centre de réadaptation il a témoigné de son expérience auprès de jeunes qui ont été eux aussi gravement brûlés au visage. «Je veux leur montrer qu’on a la vie devant nous malgré nos brûlures! » Son avenir, il le voit magnifique avec la femme de sa vie. « On espère maintenant avoir un enfant!»
Inscrivez-vous à l’infolettre de Sélection du Reader’s Digest. Et suivez-nous sur Facebook et Instagram!