La biologiste Janine Benyus aime rappeler l’importance de la nature pour la recherche.
Elle explique, par exemple, que les scientifiques de la société Arnold Glas se sont inspirés des araignées pour régler le problème des oiseaux qui se tuaient en percutant les fenêtres.
«Les araignées tissent des toiles pour piéger les insectes, mais, pour éviter que les oiseaux ne les détruisent, elles y intègrent des fils de soie reflétant les rayons UV, que seuls les oiseaux perçoivent. L’entreprise a donc intégré des matériaux réflecteurs d’UV à son verre Ornilux. Et aujourd’hui, ses fenêtres sont sans danger pour les oiseaux », précise Mme Benyus.
Elle illustre ainsi le « biomimétisme » (mot qu’elle a inventé en 1997), concept qui traduit l’idée que la nature est source d’inspiration pour l’homme. Son cabinet-conseil, Biomimicry 3.8, collabore avec de grandes entreprises comme Nike, GE et Boeing pour créer de meilleurs produits et services inspirés de la nature.
Vous avez dit : « Si une chose n’existe pas dans la nature, c’est sans doute pour une bonne raison. » Pouvez-vous préciser ?
Quatre-vingt-dix-neuf pour cent de toutes les espèces ayant existé sur Terre ont disparu. Seules celles qui fonctionnent le mieux ont survécu. Notre planète est comme un laboratoire de recherche et de développement : les meilleures idées ont triomphé, au détriment des concepts toxiques ou trop gourmands en énergie ou matière première. Les organismes qui demeurent sont efficaces.
L’homme fait-il partie de ces organismes ?
Non. L’homme n’a que 200 000 ans, alors que la vie sur Terre est apparue il y a 3,8 milliards d’années. Nous ressemblons à des enfants jouant avec des allumettes. Nous expérimentons toutes sortes de choses, car nous le pouvons. Mais aujourd’hui, nous devons nous poser la question de notre survie à long terme en tant qu’espèce. Pour cela, nous devons faire des choix propices à la vie. Je pense qu’il est possible d’inventer des choses qui n’entraînent pas de conséquences néfastes. Certains sont plus pessimistes que moi, ce qui ne sert à rien. Je travaille avec de grandes entreprises, qui tentent toutes de trouver comment fonctionner et réaliser des profits sans nuire.
Pouvez-vous donner un exemple d’usage commercial du biomimétisme ?
La chape des pneus Continental Tires, assurant un freinage exceptionnel, est inspirée des pattes de chat.
L’entreprise utilise-t-elle réellement des pattes de chat pour les fabriquer ?
Non, bien sûr. Le biomimétisme ne fait qu’emprunter ses modèles et ses concepts à la nature. Prenons l’exemple d’une nouvelle peinture permettant aux bâtiments de se nettoyer seuls grâce à l’eau de pluie. Son nom, Lotusan, vient du lotus, une plante qui pousse dans la boue, mais reste immaculée. Les scientifiques ont découvert que les reliefs microscopiques des feuilles de lotus induisent un effet perlé : l’eau de pluie s’agglomère comme du mercure et, en s’écoulant, les gouttes emportent la poussière. GE planche sur des bouteilles anti-gaspillage inspirées de ces feuilles, pour le ketchup ou la moutarde.
Selon vous, quelle est la plante ou l’animal le plus utile en termes de biomimétisme ?
Les mycorhizes. Il y en a partout et, sans elles, nous n’existerions pas. Elles forment un voile blanchâtre sur les racines des arbres et des plantes. C’est un vrai partenariat : en captant la lumière du soleil, les arbres produisent des sucres qu’ils transmettent aux champignons, sous terre. En échange, ceux-ci leur fournissent le phosphore dont ils ont besoin. Dans les forêts, ces champignons créent un réseau synergique (surnommé le Wood-Wide Web) permettant le partage de substances nutritives, de sucres et d’eau entre arbres et plantes dispersés sur un quart d’hectare.
Comment utiliser le biomimétisme dans la vie quotidienne ?
Quand j’ai voulu planter des saules autour de mon étang, dans le Montana, je me suis demandé à quelle distance des berges je devais le faire. J’ai cherché une réponse en ligne, puis je me suis rendu compte qu’il y avait de nombreux étangs alentours. Pourquoi ne pas simplement regarder ce que la nature sait faire ?
J’aurais aussi cherché sur Google.
Mais n’est-ce pas fou ? Le biomimétisme nous encourage à penser de manière fonctionnelle. Avant de bâtir ma maison, j’ai observé la façon dont les marmottes de mon terrain aéraient leurs terriers. Elles creusent de longues chambres souterraines avec une entrée à chaque extrémité, sur deux tertres dont l’un est plus grand que l’autre, permettant au vent d’y entrer. Le vide ainsi créé aspire l’air dans le terrier. J’ai dit à notre architecte que je voulais la même chose, et il a installé une coupole avec fenêtres au sommet de la maison. Quand j’ouvre les portes, l’air est aspiré vers le haut, dans la coupole, et toute la maison est aérée.
Quel est votre Saint Graal ?
J’aimerais que notre espèce ne se contente pas de s’intégrer, mais contribue au monde. Les forêts purifient l’eau pour les villes, mais pour qui les villes purifient-elles l’eau ? Personne. Aucune espèce ne peut survivre très longtemps sans créer des conditions favorables à la vie de l’ensemble de l’écosystème. C’est faisable. À New York, l’immeuble de la Bank of America dispose d’un système de filtration qui purifie l’air avant de le rejeter à l’extérieur. Les villes pourraient bâtir des trottoirs perméables permettant à l’eau de pluie de s’infiltrer dans le revêtement, puis dans le sol pour le nettoyer. Il s’agit de copier ce que fait la nature. Les technologies naturelles sont à notre portée. Elles existent parce qu’elles fonctionnent.
Aimeriez-vous emprunter quelque chose à la nature ?
J’adorerais pouvoir m’élancer d’une montagne, déployer mes ailes et m’envoler. J’aimerais aussi nager sous l’eau sans bouteilles et respirer comme les poissons. J’adorerais ça : filer dans les airs et sous l’eau !
Que diriez-vous à un sceptique qui se demande ce que la nature a de si extraordinaire ?
Nous sommes la nature, mais nous sommes aussi très jeunes. Nos ancêtres biologiques sont sages. Je lève mon chapeau à tout ce qui a vécu longtemps, et vit encore, sur Terre.