Bâtisseuses de confiance
En valorisant l’estime de soi et l’autonomie des adolescentes, Candice Lys et Nancy MacNeill révolutionnent l’éducation sexuelle dans le Nord du Canada.
Candice Lys, 32 ans, se souvient encore de son premier cours d’éducation sexuelle – et surtout de la femme qui hurlait à l’écran. Dans sa classe de première secondaire à Fort Smith, dans les Territoires du Nord-Ouest, Candice a vu son professeur, un homme d’une cinquantaine d’années, afficher des diagrammes de l’anatomie féminine sur un rétroprojecteur, puis approcher un téléviseur sur roulettes, enfoncer dans le lecteur une cassette vidéo sur l’accouchement et sortir de la pièce, chassé par les cris de la parturiente. Pas un mot sur les maladies transmissibles sexuellement (MTS) ni sur des relations saines avec les garçons. « Ce prof mal formé sortait directement d’un film pour adolescents, se rappelle Candice. Je savais qu’on pouvait faire mieux. »
La jeune femme a fait bien plus. Elle sillonne maintenant les Territoires du Nord-Ouest pour donner confiance aux adolescentes grâce à son programme fondé sur les arts, Fostering Open eXpression among Youth (FOXY). Elle avait 25 ans et terminait une maîtrise en promotion de la santé quand elle a esquissé son projet. À la même époque, elle a rencontré celle qui allait devenir son associée à FOXY, Nancy MacNeill, aujourd’hui 31 ans, qui était bénévole en intervention de crise à Yellowknife.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, les taux de grossesses et de maladies transmissibles sexuellement chez les adolescentes dépassent largement ceux du reste du pays. Selon une étude de 2012, il y aurait 103,7 grossesses pour 1 000 chez les jeunes filles de 15 à 19 ans, alors que la moyenne nationale est de 38,2. D’autres études révèlent que le taux de MTS y serait sept fois plus élevé que dans le reste du Canada. « Le système avait besoin d’une bonne dose de réalité », confie Nancy. Elle n’était pas la seule à le penser : en décembre dernier, le programme FOXY s’est vu décerner le prix Inspiration arctique, parfois appelé le « Nobel du Nord », doté d’une bourse d’un million de dollars provenant de fonds privés.
Le premier atelier FOXY s’est tenu à Hay River en mars 2012. Trois ans plus tard, le groupe offre annuellement une ou deux retraites de neuf jours. Vingt-cinq adolescentes et 10 animatrices adultes s’enferment dans une cabane en rondins pour écrire des chansons, tourner des vidéos et coudre des perles de façon traditionnelle. Entre-temps, elles discutent d’amour, de relations, de sexualité, de santé, de violence, etc. Au terme du séjour, les étudiantes obtiennent des crédits.
Pendant l’année scolaire, l’équipe de FOXY anime des ateliers dans des classes et propose notamment des jeux de rôle rédigés avec le réseau des animatrices ayant reçu une formation – des jeunes filles de 13 à 19 ans – à partir de leur propre expérience. Par exemple, une adolescente de 15 ans reçoit sur Facebook le message d’un garçon de 20 ans qui lui propose de passer la soirée avec lui. Elle va le retrouver et il est ivre. Que faire ? « En général, les filles invitent des amis à se joindre à eux. Elles considèrent que c’est la meilleure solution pour ce genre de situation ; c’est comme un filet de sécurité et c’est raisonnable », affirme Candice.
Pour Jessie Shaw, 19 ans, une jeune femme dégingandée à la chevelure rose, FOXY est devenu essentiel depuis le premier contact, trois ans plus tôt. Elle a rompu avec son petit ami beaucoup plus âgé qu’elle et a regagné peu à peu l’estime de soi qu’elle avait perdue en s’engageant dans cette relation. « FOXY m’a transformée », confie-t-elle. Elle est désormais animatrice et peut témoigner de changements similaires chez d’autres jeunes filles. Elle songe à cette adolescente de 15 ans d’Inuvik, qui agressait ses camarades de classe pour ce qu’elle considérait comme de la promiscuité sexuelle. Il y a eu un déclic lors de sa retraite FOXY, raconte Jessie. « À l’issue du programme, elle dénonçait les humiliations sexistes. »
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Depuis la création de FOXY, Candice Lys et Nancy MacNeill ont aidé plus de 500 jeunes femmes de 25 des 33 communautés qui composent les Territoires du Nord-Ouest. Avec un compte en banque plus riche d’un million de dollars, le duo entend étudier les effets à long terme de FOXY sur les participantes, organiser des ateliers au Nunavut et au Yukon et lancer un programme similaire pour les garçons – pour donner à tous les jeunes du Nord les outils nécessaires pour faire des choix responsables.