À bas l’âgisme!
Un cri de ralliement pour les aînés branchés.
Il y a peu d’avantages à atteindre 60 ans. À l’exception, bien sûr, des rabais appréciés par tous les nouveaux sexagénaires : cartes d’autobus, tarifs réduits au cinéma et cartes de fidélité dans les cafés. Certains restaurants accordent aussi des réductions au troisième âge. Mais pour l’aîné qui se respecte, 16 h 30, c’est l’heure de l’apéro, pas celle du souper.
Le terme « senior » n’est-il pas lui-même odieux ? Il demeure acceptable lorsqu’il qualifie un rang dans la hiérarchie d’un cabinet d’avocats, pas l’âge ! Mais un rabais reste un rabais. Quand l’occasion s’est présentée, j’ai donc pris ma carte de train senior. En Grande-Bretagne, où je vis aujourd’hui, le transport ferroviaire est inévitable, surtout pour les immigrés canadiens n’ayant pas réussi à rassembler le courage de conduire du mauvais côté de la route.
Pour la modique somme annuelle d’environ 55 $ CAD, cette carte me donne droit à 35 % de rabais sur le prix d’un billet. En prenant garde, avec les économies annuelles ainsi réalisées, je pourrai peut-être assouvir mes fantasmes de princesse et m’offrir des escarpins Manolo Blahnik ou Jimmy Choo.
Quand j’ai reçu ma carte par la poste, je n’en croyais pas mes yeux : elle était hideuse. Bleu grisâtre, elle prend, quand on l’examine de plus près, une malheureuse teinte lavande. Les mots « carte de train senior » y sont inscrits dans une police de caractère de type Comic Sans MS et la date de validité, dans une police que l’on ne voit que sur les pierres tombales. Dessus, l’image de bateaux abandonnés dans une crique déserte ressemble plus à une tache qu’à autre chose, même avec des lunettes à double foyer (oui, à double foyer). La carte est tellement insipide et sans âme que même une brochure de Dignitas fait meilleure figure.
Ce n’est pas ma première déconvenue. Les responsables marketing confondent « aîné » et ennui. Vous voulez des preuves ? Jetez un œil aux croisières pour les plus de 60 ans ou aux catalogues de prêt-à-porter. Qui a décidé de nous affubler de feuilles d’érable, de chats et d’ours polaires ? Si je voulais de la nature dans ma garde-robe, j’aurais des sacs à main en peau de serpent et des cols en vison. Et cela n’irait pas, de toute façon, avec une carte de train senior gris-bleu.
Aujourd’hui, nos portefeuilles débordent de cartes en plastique de toutes sortes et pour tous les usages, symboles d’entreprises se voulant modernes, dynamiques et uniques. Nous aussi aimerions être considérés ainsi : joie de vivre, envie d’aventures, sorties au restaurant, bénévolat, ski, cinéma, livres, vêtements et articles de décoration sont également nos marques de fabrique. Nous avons grandi dans les années 1960, notre penchant pour une touche de psychédélisme est-il donc si étonnant ? Dans les années 1980, nous avons assisté à des concerts de rock.
Dans les années 1990, nous y avons emmené nos enfants. Dans les années 2000, nous avons adopté sans hésiter les nouvelles technologies ainsi que les tendances en matière de vernis à ongles. Mais une carte de train bleu grisâtre ? N’y pensez pas !
Ces dernières années, on a beaucoup reproché aux baby-boomers d’agir comme si tout leur était dû. Et alors ? Nous aimons encore vivre dangereusement… tant qu’on dispose d’une salle de bains dernier cri.
Je vais écrire à la compagnie ferroviaire. Après tout, le rabais n’est pas la seule chose qui compte ; parfois, il vaut mieux plaire à une clientèle cherchant à mettre un peu de piment dans sa vie.