Appelez-la Marie-Claude
Après avoir longtemps mené une vie de nomade, puis de militante, Marie-Claude Barrette s’enracine toujours un peu plus dans le salon, et le cœur, des Québécois.
Jeune, elle s’imaginait missionnaire en Afrique, sans enfant, sans attache amoureuse et sans domicile fixe.
Aujourd’hui, Marie-Claude Barrette est mère de trois enfants, partage toujours sa vie avec Mario Dumont et, tout comme son conjoint, demeure bien enracinée dans le paysage télévisuel. Or, cette ancienne militante politique ayant longtemps œuvré en coulisses s’est tout à coup retrouvée en pleine lumière, celle du petit écran, alors que rien ne la destinait à une carrière d’animatrice.
Après 12 ans de présence à l’émission Deux filles le matin au réseau TVA, et maintenant seule en piste avec Marie-Claude, celle qui fut longtemps «l’épouse de Mario Dumont» porte fièrement son prénom ainsi que de nombreuses initiatives, qu’il s’agisse de séries documentaires (Virages, Projet Innocence Québec) ou d’expériences multiplateformes d’initiation à la musique (Bébé symphonique). À l’image d’une de ses idoles, Janette Bertrand, Marie-Claude Barrette prête l’oreille aux difficultés des Québécois et n’hésite pas à partager les siennes, comme dans ce récit bouleversant, La couveuse (Libre Expression, 2014), sur deux grossesses douloureuses, dont l’une à l’issue tragique.
Malgré les revers, rien ne semble altérer son dynamisme et sa curiosité, consciente du caractère à la fois éphémère et impitoyable du milieu de la télévision, déterminée à se réinventer sans cesse dans un univers en constante transformation. Au milieu de tout cela, Marie-Claude Barrette demeure fidèle à ses convictions, et constante dans son désir de mettre le courage des autres en valeur.
Une journaliste de La Presse a bien résumé les 20 premières années de votre vie: 14 écoles au primaire, 4 écoles au secondaire, 2 cégeps et 1 université! Tout cela parce que votre père était un soudeur qui ne craignait pas les hauteurs, travaillant un peu partout au Québec, et même aux États-Unis. Jusqu’à quel point cette vie vous a-t-elle influencée?
Elle m’a non seulement influencée, mais aussi les gens autour de moi! Disons que ça m’en prend beaucoup pour me déstabiliser et me dépayser. Certaines personnes vont vite sentir que la vague les submerge, alors que j’ai tendance à courir devant elle! Aurai-je un jour une existence tranquille? Je fais tout pour ne pas en avoir une! C’est très à la mode de dire que l’on vit le moment présent, mais j’ai toujours été ainsi, me répétant souvent la maxime bouddhiste: «Ne cherche pas le bonheur, il est là où tu es.» En résumé, je me pose beaucoup de questions sur l’humanité, mais très peu sur ce qui va se passer dans cinq minutes.
Tout de même, enfant, passer d’une école à l’autre, et parfois plusieurs dans une même année, ça peut laisser des traces, non?
Je me souviens très bien de mon passage à Saint-Félicien. J’ai tout de suite aimé l’enseignante et je m’étais fait de bonnes amies. Pour la première fois de ma vie, je faisais partie d’un groupe. À quelques jours de mon neuvième anniversaire, mes parents m’ont annoncé que nous déménagerions le 25 janvier, le lendemain de mon anniversaire. J’ai tellement pleuré. En plus, l’enseignante et les élèves avaient préparé une fête surprise pour souligner mon départ; il y a eu une tempête, pas d’école, et donc pas de fête. Le lundi suivant, j’étais dans une autre école… Après cet épisode, j’ai dû me protéger davantage. Je ne voulais pas revivre cette grosse blessure, ce qui ne m’a pas empêchée de nouer de nouvelles amitiés. Mais quand je m’en allais, je mettais fin à ces relations.
Vous avez vécu quelque temps à New York lorsque votre père travaillait à la construction des derniers étages des tours du World Trade Center, inauguré le 4 avril 1973. Même si vous étiez très jeune, conservez-vous quelques souvenirs de votre quotidien aux États-Unis?
Quelques-uns, dont celui de notre maison à Staten Island, en bas d’une côte. Mes amis étaient tous anglophones, dont plusieurs Afro-Américains: c’était la première fois de ma vie que je voyais des personnes noires! Je me souviens aussi que la réglementation sur les hélicoptères avait été modifiée parce que les appareils passaient plus bas que la structure d’acier des tours, et donc près des travailleurs. Dans notre famille, on a fait beaucoup de blagues à notre père, parce qu’il disait toujours: «Mes tours!»
Le 11 septembre 2001 fut sûrement un moment douloureux pour lui et votre famille?
Terrible. Je téléphonais sans cesse à mon père, pratiquement sans voix et sans mots; c’est un grand cardiaque et je craignais qu’il fasse une crise ce jour-là. Il n’arrêtait pas de répéter que les tours n’étaient pas faites pour la chaleur, mais pour le mouvement en cas de tremblement de terre. Il avait peur qu’elles s’effondrent, mais n’avait jamais pensé que ça serait aussi rapide. Il répétait souvent: «Les gens sont méchants.» Le deuil de mon père a duré des semaines, car il éprouvait une grande fierté de les avoir construites. Il était présent lors de l’inauguration. Ça demeure un de ses plus grands souvenirs, un moment marquant; les deux tours ont toujours fait partie de notre famille.
Avec votre conjoint Mario Dumont, vous avez trois enfants, mais vous ne cachez pas la présence d’un quatrième, Noël, né le 24 décembre 1998, souffrant de trisomie… et qui n’aura vécu que 8 minutes. Parler du deuil périnatal, est-ce une façon pour vous de l’exorciser?
J’accompagne des femmes en deuil périnatal de même que des femmes alitées et hospitalisées; ça continue de faire partie de ma vie. C’est un deuil extrêmement difficile à faire parce que personne n’a connu l’enfant décédé, ce qui provoque beaucoup de maladresses. J’ai porté Noël pendant 29 semaines, je l’ai senti bouger, mais avant l’accouchement, j’éprouvais beaucoup d’incertitudes, sachant qu’il n’allait pas vivre… et que s’il mourait dans mon ventre, je pouvais mourir aussi. Mario continuait de travailler, et il se faisait dire des choses comme «Ça ne doit pas être facile pour ta femme» au lieu de le soutenir. C’est sûr que la société en parle de plus en plus, mais ça suscite toujours un malaise, parce que personne ne sait qui tu évoques, tu ne peux pas relater des souvenirs communs.
Les maladresses étaient-elles nombreuses à votre égard?
Je me suis déjà fait dire: «Tu feras un autre bébé.» Qu’est-ce qu’on répond à ça? Tu ne veux pas envoyer promener la personne, mais tu ne veux pas non plus poursuivre la conversation. J’ai arrêté d’en parler. Il faut être capable de reprendre son souffle parce que ça fera toujours partie de notre histoire personnelle. C’est ce que j’essaie d’expliquer à celles et ceux avec qui j’aborde le deuil périnatal. Ce n’est pas parce que tu n’en parles pas chaque jour, que tu n’as pas de photos, que ça ne fait pas partie de toi. Mario et moi, nous n’avons pas voulu de photos. J’ai déjà rencontré une femme qui en avait au moins cinq de son bébé mort sur les murs de sa maison. Mon premier conseil fut de lui suggérer de les enlever, et elle m’a répondu: «C’est comme le nier!» Non, ce n’est pas le nier, mais il faut d’abord être capable de survivre à ce deuil.
Vous avez réussi à surmonter le vôtre au point de redevenir très vite enceinte, cette fois de votre fils Charles, une grossesse qui vous a clouée au lit pendant 133 jours avec la crainte perpétuelle de le perdre, une épreuve que vous racontez avec franchise et sensibilité dans La couveuse. Pas mal pour une femme qui, plus jeune, disait ne pas vouloir d’enfants!
Ça fait partie de mon tempérament: je n’anticipe pas beaucoup les choses. Après Noël et Charles – le premier est mort en décembre 1998 et le second est né le 14 décembre 1999 – quand je suis tombée enceinte de Juliette quelques années plus tard, j’étais très contente. Je savais aussi que c’était l’amniocentèse [test diagnostique fait en prélevant du liquide amniotique avec une aiguille dans l’abdomen] qui avait provoqué la suite des événements, alors il n’était pas question d’en faire une pendant la grossesse de Juliette. Pour moi, l’arrivée de ce nouvel enfant ne faisait aucun doute, même si autour de moi les gens me disaient: «Ben voyons, tu as déjà une fille et un garçon!» Je me souviens d’ailleurs qu’au moment où j’ai pris mon premier enfant dans mes bras, Angela, j’ai su que j’allais en avoir d’autres.
Non seulement votre vie de jeune mère fut tumultueuse, mais vous l’avez en partie vécue pendant que votre conjoint, Mario Dumont, était politicien, chef de parti, et un temps chef de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale. Vous vous décriviez d’ailleurs comme « tellement différents, mais si complémentaires». Après tout ce que vous avez vécu ensemble, est-ce toujours le cas?
Toujours! Autant je fus nomade, autant il était sédentaire, ayant grandi sur une ferme laitière où il ne prenait qu’une demi-journée de vacances par année avec ses parents. Nous sommes encore très différents. Je demeure une femme indépendante, autonome, et honnêtement, je pourrais très bien vivre seule, mais j’ai fait le choix de partager ma vie. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir besoin de mon espace dans la maison – ce que je n’ai pas eu pendant mon enfance – ou de partir trois jours au chalet si j’en ai envie. Mario n’est pas quelqu’un qui aime être seul, et je ne sais pas s’il aurait pu vivre comme je l’ai fait à Cacouna avec trois jeunes enfants alors que lui était à Québec. Par contre, je sais très bien que je n’aurais jamais pu être chef de parti avec toutes les pressions et les responsabilités qui viennent avec cette fonction. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous sommes complémentaires: je suis très émotive, et lui très rationnel.
Ce qui ne vous a pas empêchée d’être une militante politique, d’abord au Parti libéral du Québec, ensuite à l’Action démocratique du Québec, ayant ainsi été femme de chef de parti, où certains vous décrivaient comme «une épouse effacée».
À l’époque, je me tenais au courant, mais jamais à l’avant-plan. J’étais impliquée en politique bien avant de connaître Mario, mais être la conjointe d’un chef de parti impose une certaine réserve pour ne pas nuire aux candidats, aux porte-parole, aux élus. Ce rôle peut être ingrat, surtout quand on aime la politique.
En plus d’avoir une émission qui porte votre prénom, sur le plan médiatique, vous menez votre carrière en parallèle de celle de votre conjoint, lui aussi très présent à la télévision, et au même réseau que vous.
Je veux garder cet espace pour moi. Ça m’a pris des années à y parvenir, et de toute façon, ça devient anecdotique de tout faire à deux. Si je me plante, je me plante seule, et je l’assume! D’autant plus que la télévision, c’est quelque chose qui s’est présenté à moi, car je ne souhaitais pas faire ce métier. Toutes ces rencontres, toutes ces entrevues, c’est un privilège, et mon but, ce n’est pas de passer à la télévision, mais de donner un sens à ce que j’y fais. Ce qui me préoccupe, je suis convaincue que ça préoccupe aussi beaucoup de gens. J’ai fait du porte-à-porte partout au Québec pendant mes années en politique, et c’est une occasion unique de voir comment les gens vivent, sans jugement. C’est d’ailleurs une de mes forces, celle d’avoir rencontré autant de personnes issues de tous les milieux.
Le fait d’avoir débuté aussi tard dans le métier d’animatrice de télévision vous donne-t-il l’impression d’avoir peu de temps pour accomplir tout ce que vous rêvez de faire?
Le public a un grand mot à dire dans ce métier. Le jour où ça ne fonctionnera plus, je ferai autre chose, mais tout ce que je ferai, ça sera avec conviction. Tranquillement, je me dirige vers la coproduction d’autres projets, ajoutant ainsi de nouvelles cordes à mon arc. On m’offre plusieurs choses intéressantes, mais je dois faire des choix, car mon enthousiasme me nuit. Il faut que je prenne du recul et déterminer ce qui me tient vraiment à cœur. Je n’ai pas le goût de me dire qu’à l’approche de la soixantaine, il faut ralentir, qu’il y a une ligne d’arrêt. Tant que j’aurai la santé et l’enthousiasme, je vais continuer.