Avant ses 20 ans, Marc-Antoine Cloutier avait déjà fondé une radio étudiante, déclenché une grève dans son école secondaire, en plus d’être attaché politique du député péquiste François Rebello et vice-président du Comité national des jeunes du Parti québécois. À la même époque, en 2009, il jetait les bases de la clinique juridique Juripop alors qu’il venait tout juste d’entamer des études de droit en 2008.
Aujourd’hui président fondateur de cette organisation à la renommée grandissante, Marc-Antoine Cloutier, qui vient de lancer avec deux associés sa propre firme, Trivium Avocats, plaide depuis longtemps pour une meilleure accessibilité au système judiciaire, à des coûts raisonnables et dans des délais qui le sont tout autant! Pour cet idéaliste hyperactif, la défense des citoyens, des plus démunis à ceux issus de la classe moyenne, est une nécessité. Guidé par le principe que la justice est là pour dénouer les litiges, pas les nourrir.
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Soif de justice…
D’où vient votre soif de justice et d’engagement?
Ma sœur souffre de déficience intellectuelle, et j’ai vu mes parents se battre très fort pour qu’elle fréquente l’école publique avec l’aide d’une accompagnatrice, qu’elle obtienne des services de santé adéquats, bref, qu’elle accède à l’égalité des chances pour évoluer, progresser. Très tôt, j’ai dû faire face à la stigmatisation des personnes handicapées, et cela a forgé un peu ma jeunesse de combattant.
Vous commencez des études de droit en 2008 et, avec des camarades de classe, vous fondez Juripop dès juin 2009 . Quelle mouche vous a piqué?
Ce fut lors du premier cours de droit social, je m’en souviens comme si c’était hier! Il s’agissait essentiellement d’une introduction à l’Aide juridique, et le professeur nous disait que le système de justice est accessible aux grandes entreprises et aux riches, qui disposent d’énormes moyens, et aux très pauvres, grâce à l’Aide juridique.
Pour les gens à revenus moyens, dont plusieurs avocats, le système était devenu beaucoup trop onéreux. On ignorait ces problèmes au moment de s’inscrire en droit, et ça heurtait nos valeurs. Je me suis dit qu’il fallait absolument faire quelque chose.
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Payer selon ses revenus
Croyez-vous que le problème d’accessibilité se résume aux frais élevés qu’exigent les avocats?
Quatre-vingts pour cent des gens disent ne pas avoir les moyens d’être représentés par un avocat, 55 % se défendent seuls en cour, et à peu près 50 % sont incapables de lire : quand on met tout ça ensemble, on obtient un cocktail qui garantit l’échec du système. Au début de Juripop, les avocats disaient qu’on leur volait du boulot, qu’on réduisait les prix, et qu’on discréditait la profession en proposant du droit bon marché.
Juripop ne pratique pas le « pro bono » puisque vos clients paient pour vos services selon leurs revenus, mais cette culture n’est pas très répandue au Québec.
De vieux avocats m’ont raconté qu’avant l’instauration de l’Aide juridique, ils aidaient les gens à faible revenu, facturaient moins cher à l’heure ; lorsque l’État a pris en charge cette responsabilité, ils ont peu à peu délaissé le « pro bono ». Or, comme les seuils d’admissibilité n’avaient pas augmenté depuis des décennies, il fallait gagner 13 000 $ par année ou moins pour avoir accès à l’Aide juridique; les personnes qui travaillaient au salaire minimum étaient exclues.
À Juripop, ce fut longtemps notre cheval de bataille et, en 2013, les seuils ont été relevés. Faut dire qu’en 1973, au moment de la fondation de ce programme, on recourait moins au système judiciaire, les besoins étaient moins criants.
Un système judiciaire mal en point
Ce n’est plus le cas maintenant; ce système semble aussi mal en point et engorgé que le système de santé!
Le monopole des avocats est la raison principale du manque d’accès à la justice, et il n’a pas sa raison d’être. Les étudiants en droit, les parajuristes, les notaires (et les avocats à la retraite) pourraient donner des conseils juridiques et faire plus que ce qu’ils font maintenant. Or, ce qui les limite, c’est le corporatisme des avocats. Sans compter que le gouvernement et les grandes entreprises, capables d’assumer les frais juridiques, accaparent énormément les tribunaux. Vous avez entendu parler du dossier Castor Holdings? Cette saga judiciaire a duré 17 ans et monopolisé une dizaine de juges; des avocats y ont consacré leur vie, et une salle de cours était uniquement dédiée à ce mégaprocès commercial. Pendant ce temps-là, le système n’est pas capable de proposer des services aux simples citoyens, qui finissent par abandonner leurs droits, un décrochage inquiétant.
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Juripop : une clinique juridique utopique?
Pour faire face à ces problèmes, Juripop tient des kiosques d’information dans le métro de Montréal, a défendu des étudiants lors de la célèbre grève de 2012 et des employés de la MMA accusés de négligence criminelle dans la tragédie du Lac-Mégantic en 2013, et organise des concours de plaidoiries dans les écoles. Dans ce contexte, et avec vos modestes moyens, diriez-vous de Juripop qu’il s’agit d’une utopie?
Juripop, c’est une utopie en soi! Notre mission consiste à changer ensemble ce qu’on ne peut pas changer seul. Nous luttons contre le populisme et la désillusion, en informant la population de ses droits. Par exemple, l’école ne le fait pas, ou très peu, ce qui est dommage puisqu’il s’agit de l’éducation de la citoyenneté. Et lorsque Juripop s’engage dans une cause, prend position sur des enjeux de société, on ne fait pas de politique, mais on essaie de jouer un rôle en faveur de l’État de droit et du respect de nos insti-tutions. Ce n’est pas toujours évident!
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