Le pourboire, parlons-en!
Que laisser contre un service rendu? C’est plus déroutant que jamais. Et ça se corse à l’étranger. Au secours!
Invitée récemment à un mariage dans une région rurale du Québec, j’ai eu droit comme tous les convives à une voiture avec chauffeur pour le trajet de 90 minutes dans les collines. Super! Je me suis imaginée riche! Mais comme je ne le suis pas, je n’avais aucune idée du coût d’une telle balade. Aussi, quand le chauffeur nous a récupérés à minuit, je me suis demandé si je devais lui donner un pourboire.
Dans mon sac à main, je n’ai trouvé que le billet de 100$ réservé aux urgences. Je n’avais pas plus petit sauf les deux chocolats prélevés au mariage. Zut! Devant le dilemme, je me suis résignée à la générosité. En descendant de la voiture avec mes deux enfants, j’ai en effet tendu au chauffeur la grosse coupure. J’ajoute, oui, que j’étais trop éméchée pour même envisager de demander qu’il me rende une quelconque monnaie.
De toute façon, je n’aurais pas su combien donner. Et je ne suis pas la seule. Dans le monde entier, la question du pourboire est souvent source de maladresses – et, pour certains voyageurs, de légère anxiété. Les habitudes et les usages en cette matière varient considérablement d’un pays à l’autre. Une amie qui vit à Rome m’a expliqué que les gros pourboires vexent les serveurs italiens. «Cela paraît vulgaire. Des proches m’ont un jour forcée à reprendre l’argent que j’avais laissé.»
Ah! bon! Au Québec, le chauffeur m’avait confié qu’il était moitié grec, moitié libanais. Partageait-il le jugement des Italiens? A-t-il été vexé par mon généreux pourboire – qui m’a privée de mon fonds d’urgence?
Le pourboire à l’international
Voyager avec sa propre conception du pourboire peut mener à bien des malentendus. Les Norvégiens, qui ont de bons salaires et dont les pourboires sont très bas, risquent de faire de nombreux mécontents à Las Vegas en dépensant sans compter tout en distribuant quelques rares pièces autour d’eux.
De leur côté, les Américains, connus pour leurs pourboires généreux, pourraient ce faisant insulter tout le Japon, pays où un bon service est une question d’honneur. «Comment!? Vous voulez me rémunérer pour avoir servi une assiette de sashimis sans la renverser sur le client?»
L’affaire peut être fort gênante, en effet. Mais c’est qu’on n’arrive pas à en voir la logique.
C’est dans l’Angleterre des Tudor que se trouverait l’origine du pourboire. Les aristocrates qui, à cette époque, se déplaçaient chez les uns et les autres à la campagne glissaient une obole aux domestiques qui les aidaient à ajuster leur fraise autour du cou. Quelques siècles plus tard, c’est le règne de l’arbitraire. L’université Cornell a publié dans le Journal of Economic Psychology une étude où il apparaît qu’on donne un pourboire deux fois plus souvent au livreur qu’au commis du supermarché, et, à peu près dans le même rapport, au serveur qu’à l’employé d’un restaurant rapide.
Pourquoi? Un salarié est un salarié, non? Comment expliquer que l’on donne un pourboire à un livreur, et pas à un commis?
Mais il y a d’autres exemples: les clowns qui animent une soirée reçoivent plus souvent un pourboire que les hygiénistes dentaires qui affrontent courageusement l’intérieur de nos bouches. Les chauffeurs de limousine sont plus largement récompensés que les guides de pêche – qui ne ménagent pourtant pas leurs efforts. Personne n’arrive à rendre compte de ces différences.
La prolifération des terminaux de paiement électronique qui affichent des boutons de pourboire automatique a aggravé les choses. Ces petites machines ont tendance à se répandre: on en trouve maintenant dans les ateliers mécaniques, ce qui culpabilise ceux qui appuient sur «pas de pourboire». Récemment, dans une boulangerie qui refuse les espèces, on m’a présenté un terminal comportant un bouton pourboire – pour m’avoir vendu un beignet. J’ai laissé 15%.
Quant à trouver une cohérence dans la pratique du pourboire en Europe, bonne chance! En 2020, une enquête menée dans sept pays du continent a démontré que les Allemands et les Suédois donnaient plus facilement un pourboire que les Espagnols et les Suisses, et que seulement 40% des Français laissaient quelque chose au serveur. Les Norvégiens sont les plus frileux en matière de pourboire: moins de 15% consentent à laisser une marque d’appréciation sur la table. Quant au montant, il est le plus bas en France et en Norvège (moins de 2% de l’addition), le plus élevé en Allemagne (7,5%) et en Suède (9%).
«Pour les employés exerçant dans les services, note Stefan Gössling de l’université Lund en Suède, auteur de l’étude, c’est sans doute en Allemagne que la culture du pourboire est la plus forte. Le salaire minimum y est élevé, laisser un pourboire est une habitude, et le pourcentage de ce qu’on laisse est lui aussi élevé et généralement versé en espèces.» En Espagne, «la situation des employés de service est moins favorable, le salaire minimum est bas, et les pourboires le sont aussi».
Un pourboire plus élevé en Amérique
Il en va tout autrement aux États-Unis, où le pourboire dans les restaurants peut grimper à 25% quand le service est jugé excellent. Au Canada, il varie entre 15% et 20%. Pourquoi? Parce que les restaurants se déchargent de la norme salariale sur le client. C’est pourtant au restaurateur de s’assurer que son serveur peut s’acquitter de son loyer.
Au-delà de l’occasionnel «gardez la monnaie», le pourboire n’entre pas dans les mœurs en Asie du Sud-Est (en Thaïlande ou au Vietnam, par exemple), pas plus qu’en Australie. À Taïwan et à Hong Kong, la plupart des restaurants ajoutent d’autorité un pourboire de 10% à l’addition. Ça peut être agaçant, «même quand le serveur vous en informe au préalable», reconnaît une amie qui s’est trouvée dans la situation. «Faut-il donner plus si le service est excellent? Et que faire quand on considère avoir été mal servi?»
Il y a de quoi perdre patience. Et encore n’est-il jusque-là question que d’argent – attendez de régler vos pourboires en bitcoins! Je ne comprends déjà rien au concept de cryptomonnaie, imaginez aux algorithmes qui calculent le pourboire…
Possible que nos ancêtres aient éprouvé le même effarement quand l’argent est venu remplacer les coquillages, les armes et les sacs de riz. À l’époque où le pourboire n’existait pas.
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