L’écolo optimiste

Militant de la première heure, Steven Guilbeault brosse un portrait finalement pas si sombre de l’état de la planète.

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Steven Guilbeault a cinq ans, et il est très fâché. Un promoteur immobilier veut raser une partie de la forêt, derrière sa maison, à La Tuque. «Grimpe dans un arbre, lui dit sa mère. Celui-là, au moins, ils ne viendront pas l’abattre.»

Il la prend au mot et découvre, ce jour-là, le pouvoir de la désobéissance civile. Les promoteurs immobiliers finiront par avoir raison de son terrain de jeu, mais, l’espace d’une journée, ils n’ont pas pu s’approcher de l’arbre où l’enfant s’était réfugié.

Des années plus tard, en 2001, avec un commando de Greenpeace, il escaladera la tour du CN, à Toronto, pour attirer l’attention de l’opinion publique sur le peu d’empressement du Canada et des Etats-Unis à vouloir diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Il sera arrêté une fois redescendu sur terre… mais l’image fera le tour du monde.

Aujourd’hui coordonnateur général adjoint chez Equiterre, un organisme qui «fait la promotion de choix écologiques, équitables et solidaires», Steven Guilbeault, 40 ans, a aussi dirigé Greenpeace Québec pendant six ans et a été l’un des architectes du Plan d’action sur les changements climatiques du gouvernement du Québec, déposé en 2006.

Avec son look de cégépien, il aurait pu n’être qu’un obscur écolo de Montréal, où il vit avec sa compagne et leurs quatre enfants. Mais son sens de l’engagement, sa maîtrise des dossiers et ses talents de communicateur ont fait de lui une des vedettes de la planète verte. Le quotidien français Le Monde le compte parmi les 50 acteurs mondiaux du développement durable. Normal, sa cause, c’est la survie de la Terre.

Mathieu-Robert Sauvé: Les écologistes comme vous étaient naguère alarmistes. Ils annonçaient régulièrement la fin du monde. Aujourd’hui, ils sont beaucoup plus positifs. Pourquoi?

Steven Guilbeault:
La société des années 1980 et 1990 s’éveillait aux problèmes comme les pluies acides, la réduction de la couche d’ozone, le réchauffement climatique, les déchets nucléaires. Les écologistes prenaient conscience de la gravité de la situation, et l’inquiétude était présente dans leurs discours. La tâche pour venir à bout de ces problèmes semblait insurmontable.

Mais la cause environnementale a beaucoup progressé depuis 20 ans: la sauvegarde de la planète est au cœur de l’actualité; les écologistes sont des interlocuteurs majeurs de l’administration publique; les entreprises, les écoles, les gouvernements s’entendent sur les vertus du développement durable.

Sur le plan stratégique, le discours alarmiste démobilisait les troupes. Pour trouver des façons d’améliorer les choses, il ne faut pas annoncer l’apocalypse, mais insister plutôt sur les solutions concrètes.

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M.-R.S.: Dans quel secteur a-t-on connu les plus grandes percées?

M.-R.S.: Dans quel secteur a-t-on connu les plus grandes percées?

S.G.: Dans tous les secteurs, il y a de bonnes nouvelles. Prenez les changements climatiques. Depuis 20 ans, la prise de conscience universelle des effets de la pollution atmosphérique a mené à des actions concrètes dans de nombreux pays. Par rapport à 1990, la Grande-Bretagne a réduit de 15 pour 100 ses émissions de gaz à effet de serre; l’Allemagne, de 20 pour 100. D’autres pays suivront.

Le plan vert du Québec est pris en exemple ailleurs dans le monde. Adopté en 2006 et mis en application en 2007, ce plan est le plus ambitieux en Amérique du Nord et le seul qui soit susceptible d’atteindre la cible du protocole de Kyoto. C’est ici, au Québec, qu’on a instauré la première taxe sur le carbone. Les recettes, qui se chiffrent à quelque 200 millions de dollars par année, servent à financer des mesures comme le transport écologique et l’efficacité énergétique.

Comme je le mentionne dans mon livre, les aires protégées représentaient moins de 2 pour 100 du territoire québécois en 2003. En 2009, le gouvernement a annoncé qu’elles allaient passer à environ 8,5 pour 100. On aimerait en avoir plus, la moyenne internationale étant de 12 pour 100, mais c’est un excellent début. Autre bonne nouvelle: l’an dernier, les Québécois ont produit plus de matières recyclables que de déchets.

Je ne dis pas que tout va bien. On a encore beaucoup de mal à convaincre certains grands pays – dont le Canada – à s’engager dans la lutte contre les émissions polluantes. Mais il y a manifestement des avancées.

M.-R.S.: On vous a vu, dans une annonce pleine page parue dans les journaux, pousser un paquet de «2 par 4» avec votre fils Edouard. Etes-vous réconcilié avec l’industrie forestière?


S.G.:
La Coalition BOIS Québec, qui a lancé cette campagne, ne prend pas parti pour une société forestière, mais veut promouvoir l’utilisation du bois comme matériau de construction. Recyclable, renouvelable, le bois joue un rôle important dans la séquestration du carbone. Parce qu’il nécessite moins d’énergie pour être transformé, il contribue à la réduction des gaz à effet de serre et diminue l’empreinte écologique des bâtiments. On a la chance, au Québec, de disposer de cette ressource en abondance. Il faut s’assurer de la bonne gestion des forêts, mais les gens doivent savoir que le bois est infiniment moins polluant que l’acier ou le béton.

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M.-R.S.: Pourquoi avoir quitté Greenpeace pour Equiterre?

M.-R.S.: Pourquoi avoir quitté Greenpeace pour Equiterre?

S.G.: Je voulais poursuivre mon combat d’une autre manière. Etre sur le terrain. Je suis un adepte du cocktail transport: je loue une auto lorsque j’en ai besoin, je prends le métro et l’autobus, et, quand le temps le permet, je circule à vélo. Depuis 15 ans, j’adhère à l’agriculture soutenue par la communauté, qui produit des légumes bios. Et je ne manque jamais une occasion de récupérer, de recycler.

Ce sont de petits gestes comme ça qui finissent par faire changer les choses. Greenpeace est une organisation internationale qui travaille sur des enjeux nationaux et régionaux. Chez Equiterre, c’est l’inverse. J’ai l’impression d’agir d’abord sur mon environnement local, même si mon implication internationale demeure. D’ailleurs, je suis toujours membre de Greenpeace.

Et puis, je n’ai jamais été très loin d’Equiterre, que j’ai fondé avec quatre autres personnes en 1994. Cet organisme informe le public, offre des conseils en matière de développement durable. Nous sommes de plus en plus pris en considération.

M.-R.S.: Etes-vous inquiet de ce que votre génération laissera à vos enfants, Morgane, Edouard, Madeleine et Vivianne?

S.G.: Je suis un optimiste réaliste. Je suis convaincu que nous sommes capables de relever les défis que pose l’activité humaine pour l’environnement. Mais le temps est un luxe que nous ne pouvons nous permettre. Il faut agir maintenant. Nous avons la responsabilité de ne pas refiler la facture à nos enfants. Sinon, ce sera à eux de réparer les dégâts.

M.-R.S.: On vous a déjà sollicité pour entrer en politique. Qu’est-ce qui vous retient? Ne pensez-vous pas que votre action y serait plus efficace que celle du militant?

S.G.:
Je ne dis pas non à la politique active, mais, pour l’instant, je suis très heureux de faire ce que je fais. Je suis comme un poisson dans l’eau! J’accepte tout de même volontiers des invitations venant de politiciens. Par exemple, la ministre des Ressources naturelles Nathalie Normandeau m’a demandé de diriger un groupe de réflexion sur les énergies renouvelables non traditionnelles. J’ai accepté. Ce qui ne m’empêche pas de faire partie d’un groupe qui poursuit le gouvernement dans un autre dossier.

Steven Guilbeault, co-fondateur et porte-parole d’Équiterre, fait de la sauvegarde de la planète son cheval de bataille.

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