Votre livre aurait pu s’intituler L’économie pour les nuls, pour faire référence à la populaire collection. L’économie joue un rôle important dans nos vies, d’innombrables façons, du prix du panier d’épicerie à notre fonds de retraite. Pourquoi nous paraît-elle pourtant parfois si obscure ? Sommes-nous des analphabètes économiques ?
Les questions économiques peuvent paraître ennuyeuses et difficiles à comprendre, en effet. Longtemps le journalisme économique a été associé à des groupes d’intérêts, les décideurs, les gens d’affaires, les spéculateurs boursiers. La grande majorité des gens avaient l’impression que tout cela n’était pas pour eux. Mais l’économie, c’est plus que ces aspects spectaculaires. Il n’y a pas beaucoup de décisions qu’on prend dans la vie où il n’y a pas un enjeu économique sous-jacent. Par exemple, a-t-on les moyens d’acheter la maison de nos rêves ? d’avoir telle voiture ? de se marier et de faire un voyage ? J’ai le sentiment pourtant que les gens ne s’en rendaient pas compte.
Est-ce moins le cas aujourd’hui ?
Je crois que la crise financière, la grande récession, a réveillé plusieurs personnes qui se sont demandé ce qui était en train d’arriver. Dans quelle mesure cela les touchait. Je dirais donc qu’il y a eu un intérêt beaucoup plus grand pour les enjeux économiques et financiers au cours des six ou sept dernières années.
Quel est le sujet sur lequel le public revient le plus souvent ?
Le prix de l’essence. Ses variations. Elles sont incompréhensibles, même pour moi. Une bonne partie du prix à la pompe s’explique par celui du pétrole, mais personne dans l’industrie n’est capable d’en expliquer les variations quotidiennes ou brutales. Si les prix montaient et baissaient graduellement en fonction des chiffres du marché du raffinage, du transport et d’autres facteurs, on ne dirait rien – oui, bon, on se plaindrait encore de son prix trop élevé. Il y a quand même des aspects fondamentaux qui font que le prix est ce qu’il est. Mais quand il passe de 1,37 $ à 1,47 $ le litre le citoyen sent qu’il se fait avoir non seulement parce que cela lui coûte plus cher, mais surtout parce qu’il n’est pas capable de prévoir ce genre de hausse. C’est un des aspects qui irritent le plus les gens.
Vous vulgarisez avec brio des sujets très variés et fort pratiques, par exemple : « Pourquoi le vin coûte-t-il plus cher au Québec ? » ou « Acheter ou louer une auto ? » Mais vous avez aussi retenu des questions amusantes. Parexemple :« La météo influence-t-elle l’achat d’une voiture ? » ou « Devriez-vous choisir votre mari parce qu’il est beau ou parce qu’il est riche ? » Pourquoi ?
C’est mon ami François qui a travaillé sur ces questions-là, ce qu’il appelle la neuro-économie. Quand on s’intéresse à notre inconscient, on se rend compte qu’on est très influencé par des enjeux, questions et intérêts économiques, mais aussi par d’autres types d’influence. J’aime beaucoup la question sur la météo parce qu’elle nous dit clairement que, quand il fait très chaud en été et qu’on cherche une voiture, les possibilités sont plus fortes qu’on arrête son choix sur un genre cabriolet, et qu’en hiver on opte plutôt pour une plus grosse cylindrée, plus foncée, qui semble plus protectrice. C’est ça l’économie comportementale : vérifier comment notre comportement économique est influencé et modifié par différents facteurs externes. On pense qu’on est raisonnable, mais on ne l’est pas toujours !
On dit souvent que les Québécois sont les plus taxés au Canada, et qu’ils sont même parmi les plus taxés au monde. Pourtant on apprend dans votre livre que 37 % des contribuables ne paient pas d’impôts. Qui sont-ils ?
La très grande majorité de ce 37 % sont des gens qui ne gagnent tout simplement pas assez d’argent pour payer des impôts. Et quand on fait disons 20 000-25 000 dollars par année, on a aussi accèsà différents crédits, prestations et retour de taxes qui réduisent les impôts à payer. Par ailleurs, oui, il y aura toujours des gens qui font de l’évasion fiscale, qui travaillent au noir, et d’autres beaucoup plus riches qui exploitent des mécanismes fiscaux qui leur permettent d’éviter de payer de l’impôt…
Justement, vous nous apprenez que près de 80 % des contribuables (près de 5 millions de Québécois) gagnent moins de 50 000 $, et que quelque 40 % (soit environ 2,5 millions de personnes) ne font pas 20 000 $. Compte tenu du coût de la vie au Québec, ça semble bien peu. Sommes-nous aussi riches que nous le pensons ?
Premièrement vous avez raison de dire que c’est peu. Une bonne partie de la population doit se débrouiller avec des moyens modestes. Cela dit, on a quand même une structure sociale extrêmement bien déployée. On a un système d’éducation, de santé, de garderie, d’assurance médicament, on a vraiment une structure qui fait en sorte qu’une bonne partie de nos impôts servent justement à garantir une plus grande protection à ceux qui ont moins de moyens. Alors ça fait partie de la richesse collective et sociale. Cela ne met pas nécessairement plus d’argent dans nos poches, mais ça nous donne quand même de bons remparts.
Vous citez la Banque du Canada selon qui chaque année, depuis 2000, près de 100 000 Canadiens engagent des procédures d’insolvabilité, trois fois plus qu’en 1980. Comment explique-t-on ce phénomène inquiétant ?
Notre économie est basée sur la consommation : du 2/3 au 3/4 de notre PIB repose sur elle. Quand on tient compte de l’inflation, on s’aperçoit que la classe moyenne n’a pas vraiment vu son pouvoir d’achat augmenter au cours des dernières décennies. Résultat : on s’endette. On mise sur l’endettement qu’on crée, qu’on stimule. Donc aujourd’hui, on se retrouve avec des niveaux record d’endettement – quand on prend en compte les hypothèques – et c’est ce qui fait que, quand arrivent des récessions et des crises comme on a connues, beaucoup de gens sont finalement incapables de traverser la tempête et doivent déclarer faillite.
Plusieurs d’entre nous ne savent pas comment investir leurs économies. Comment faire les bons choix ? Qui peut nous aiguiller ?
Un conseiller en finances ou un planificateur financier peut vous aider à identifier vos besoins et à déterminer ce qui est mieux pour vous en termes d’épargne. Est-ce l’immobilier ? le REER ? Devriez- vous prendre votre remboursement d’impôt pour l’investir dans un CELI ? Et puis tout cela dépend aussi de votre âge. On n’investit pas de la même façon à 30 qu’à 60 ans. À 30 ou 40 ans, on veut avoir une famille, et parfois on peut arriver serré. À 60 ans, on veut peut-être prendre moins de risques parce qu’on approche de la retraite. Il faut planifier tout cela. Si vous sentez que vous avez toutes les connaissances pour le faire, faites-le, mais si vous vous sentez un peu démuni, consultez un expert. Et posez beaucoup de questions, c’est important. Il n’y a pas de questions stupides pour vous rassurer et être certains que vos choix sont les bons.
Vos questions sur l’économie, 75 questions – 75 réponses de Gérald Fillion et François Delorme, Les éditions La Presse.