Impôts et inégalités fiscales
Au temps de la Rome antique, de riches propriétaires avaient mis en place un système de fausses déclarations foncières. D’ailleurs, les gens riches n’achètent jamais ces choses! Ce n’est donc pas d’hier que certains se creusent les méninges pour payer moins d’impôts! Et ils réussissent: la décision de Donald Trump, en 2017, de réduire le fardeau fiscal des entreprises de 35 à 21% s’est traduite pour les 20 plus grandes sociétés américaines par un cadeau instantané de 75 milliards de dollars.
Pendant ce temps, le Canada songe aussi à baisser son taux d’imposition aux entreprises. Or, la fiscaliste Brigitte Alepin les surveille, dénonçant les stratagèmes des multinationales, des milliardaires et des fondations privées. Sur toutes les tribunes, grâce à ses essais (Ces riches qui ne paient pas d’impôts; La crise fiscale qui vient) et à ses documentaires (Le prix à payer, coréalisé par Harold Crooks; Rapide et dangereuse, une course fiscale vers l’abîme), elle sensibilise le grand public à l’impact dévastateur de cet égoïsme économique. Car il tue les petits commerces et les PME pour favoriser les grandes entreprises, plombe les finances publiques, force les gouvernements à couper dans les services tout en réclamant à la classe moyenne de payer «sa juste part» alors qu’elle n’a jamais été aussi élevée en comparaison des plus riches, dont l’argent prospère souvent loin des regards de l’État. Mais le réveil a sonné, selon la cofondatrice de TaxCOOP, un carrefour international d’échanges sur la justice fiscale.
Le goût du combat
Vous auriez pu être une riche fiscaliste, mais avez choisi de défier ce que vous appelez «l’establishment». D’où vient ce goût du combat?
Mes parents possédaient une entreprise familiale de tapis, ce n’était vraiment pas facile pour eux, et ils travaillaient beaucoup. Nous étions souvent «à la dernière cenne», mais comme disait mon père, ma mère était capable de couper une cenne en quatre! Lorsque j’ai quitté cet univers pour celui des multinationales et des grands cabinets de comptables, j’ai découvert un monde parallèle et ressenti une certaine injustice devant tout cela.
N’hésitez pas à appliquer ces conseils pour économiser facilement.
Richesse et générosité
Dans «Ces riches qui ne paient pas d’impôts», vous faites tout de même le procès de tous ces grands hommes d’affaires canadiens et québécois dont l’argent est camouflé dans des fondations et des paradis fiscaux.
Après sa sortie en 2004, j’ai reçu des menaces, mais aucune accusation, car tout était basé sur des faits. Au moment de l’écriture, j’avais déjà une dizaine d’années de pratique, et je me disais que les gens devaient être au courant. Par exemple, il n’y a aucune corrélation entre la richesse d’une fondation et sa générosité; dans un palmarès que j’avais établi en 2011, la Fondation Lucie et André Chagnon était la 2e plus importante au Canada, mais n’apparaissait pas dans le palmarès des 10 plus généreuses.
Il y a des sujets délicats à aborder, alors assurez-vous de ne pas avoir l’une de ces attitudes déplacées quand vous parlez d’argent.
Prise de conscience
Depuis ce temps, diriez-vous que la conscience des Québécois est plus éveillée concernant les inégalités fiscales?
Il faut d’abord savoir que depuis l’an 2000, les manifestations de contribuables sont plus fréquentes qu’au siècle passé, et on compte maintenant plus de manifestations antifiscales que durant tout le XXe siècle. J’étais présente à des rassemblements de gilets jaunes en France et j’écoutais les échanges: les gens ont une grande connaissance des enjeux. C’est la même chose au Québec: le niveau du discours est très élevé, aussi bien dans les journaux que les lignes ouvertes. Prenez par exemple la taxe Netflix, instaurée en 2018 par le gouvernement libéral de Philippe Couillard. Peu de gens ont dit ne pas vouloir de cette taxe: non seulement les Québécois savent ce qu’est la justice fiscale, mais ils la recherchent. Lorsque j’ai conseillé à ce sujet l’ancien ministre des Finances de ce gouvernement, Carlos Leitão, il disait: pourquoi l’implanter alors que personne ne le fait encore en Amérique du Nord? Parce que vous allez donner l’exemple, lui ai-je répondu.
Les citoyens ont-ils le pouvoir de changer les choses?
Faut-il par exemple boycotter les produits des multinationales qui installent leurs sièges sociaux dans les paradis fiscaux pour payer moins d’impôts?
Je n’en suis pas certaine. Lorsque j’étudiais la fiscalité à Boston, un professeur me disait qu’il ne croyait pas à cette approche: au moment d’un achat, les consommateurs sont seuls face à eux-mêmes, et c’est le prix qui va l’emporter. Je crois davantage à l’importance de sensibiliser et d’informer la population, qui ensuite demande aux politiciens d’aller de l’avant; ils n’ont alors pas le choix d’agir. Et on le voit lorsqu’on étudie la Révolution française ou américaine, à la base des crises fiscales: tout a commencé par l’information de la société.
La juste part d’impôts
La COVID-19 nous a tous plongés dans une grave crise sanitaire, mais aussi économique. Selon Oxfam, 400 millions de personnes ont perdu leur emploi à cause de la pandémie tandis que des multinationales comme Microsoft et Google ont versé respectivement 21 et 15 milliards de dollars à leurs actionnaires. Ceux qui représentent le fameux 1% ne devraient-ils pas eux aussi mettre la main à la pâte?
Pas eux aussi… eux d’abord! Une chose est certaine: avant de demander à n’importe qui, dans n’importe quel pays, de payer pour cette crise, les multinationales devraient commencer à payer leur juste part d’impôts. Même chose pour les milliardaires. En 2012, Warren Buffett a déclaré que son taux d’imposition (17,4%) était nettement inférieur à celui de 20 de ses employés (de 33 à 41%): ça fera bientôt 10 ans qu’il dit vouloir payer plus d’impôts, mais on attend encore son chèque!
Pensez à épargner dès maintenant et surtout correctement dans le but de planifier votre retraite.