En confinement
Au cours de la dernière année, au nom du confinement, j’ai eu à inventer toutes sortes de raisons pour justifier des achats pas vraiment nécessaires. J’ai commandé en Espagne un pull en coton tricoté main et des coussins en Suède, mais la chose la plus réjouissante et la plus… insolite que j’ai «ajoutée au panier» était une paire de canetons.
Cela s’est produit en juin 2020, lorsque mon mari, Joaquin, mon fils de cinq ans, Leo, et moi en étions au troisième mois du confinement. J’avais alors depuis longtemps mis fin à la mascarade qu’était notre école à la maison, et il n’y avait ni colonie de vacances ni jeux chez les amis – ou, quand il y en avait, c’était moi la partenaire, et j’étais épuisée. Même nos deux chats semblaient de plus en plus accablés par notre présence constante, regrettant l’époque où, tel leur hôtel privé, la maison n’accueillait des humains qu’à l’occasion et uniquement pour l’entretien.
Je m’étais donc rabattue sur Instagram et sur l’apparente perfection de la vie des autres lorsque je suis tombée sur la photo qu’avait prise une amie de deux minuscules canetons dorés dans son salon. Je lui ai immédiatement écrit. Elle m’a expliqué qu’elle les hébergeait pour une ferme du sud de l’Ontario. Qu’il était possible d’adopter les nouveau-nés et de les élever aussi longtemps qu’on le désirait, c’est-à-dire, en général, ainsi que l’expliquait le site web de la ferme, quelques semaines, le temps pour les canetons de passer d’une enfance duveteuse à une adolescence plus turbulente et plus enveloppée. Ce programme contribuait à financer la ferme et, me suis-je dit, nous apporterait ce dont nous avions nous-mêmes besoin: un peu de joie et de spontanéité; un sentiment de confrérie.
Dans le Kentucky, il est interdit de «vendre ou échanger, exposer ou posséder des canetons ayant été teints ou colorés»… Oui, vous avez bien lu! Vous n’êtes pas au bout de vos surprises avec ces lois bizarres à travers le monde.
L’adoption
J’ai donc annoncé fièrement: «Nous allons avoir des canetons!» Joaquin m’a répondu quelque chose qui signifiait «Quoi?»
Je lui ai expliqué que pour 165$, la ferme nous fournirait tout ce dont nous aurions besoin – du «Gatorade pour poussins», une lampe chauffante, de la nourriture et de la litière (un ballot de copeaux de pin). En plus, cela ferait une activité pour Leo.
«D’accord, m’a-t-il répondu. Quand va-t-on les chercher?» Voyant qu’il était partant, j’ai souri en concluant que j’avais fait un bon mariage. Zsa Zsa Gabor a dit qu’«on ne connaît jamais vraiment un homme avant d’en avoir divorcé». Oui, ou jusqu’à ce qu’on ait adopté du bétail ensemble pendant une pandémie.
Canetons, lapin, renard… Impossible de ne pas fondre devant ces images adorables de bébés animaux!
Une prodigieuse livraison
Dix jours plus tard, en un matin ensoleillé de juin, un homme de la ferme est arrivé au pas de notre porte du centre-ville de Toronto. Dans ce qui restera la plus prodigieuse livraison de ma vie, il m’a remis une boîte à chaussures contenant deux poussins.
Leo et moi tenions dans nos mains ces créatures soyeuses et dorées. Leurs pattes palmées couleur orangée étaient douces et satinées contre nos paumes; leurs petits becs brillants, étonnamment chauds. Leo s’est immédiatement proclamé leur père, ce qu’ils ont accepté joyeusement, se dandinant à ses talons et glissant sur le parquet, comme Bambi sur une patinoire. Il en a appelé un Gaston, suivant son personnage de dessins animés favori, et j’ai baptisé l’autre Ping, d’après le héros de l’un de mes livres d’enfant préférés.
Quand Leo a embrassé Ping et Gaston sur le bec, ils ont mordillé ses lèvres, ce qui lui a suffi pour conclure qu’ils l’aimaient. Il a ensuite décidé qu’ils avaient besoin d’un bain après leur long voyage depuis la campagne. Pour ma part, j’ai été saisie d’un grand soulagement: enfin une activité sans tablette! Être parent, surtout en temps de pandémie, c’est se sentir coupable. Les nouveaux membres de notre famille m’ont libérée de ce sentiment. Quand Leo les a posés dans le plat de plastique où il avait versé de l’eau, ils étaient dans leur élément. Nous les avons ensuite emmaillotés pour les tenir au chaud.
Que ce soit les canetons ou les chiens, pensez à tenir ces animaux de compagnie loin de votre visage!
Comment leur éviter l’abattoir?
Si la pandémie nous a tous fait plonger dans le chaos, au moins notre nouveau désordre avait un charme fou. Et le désordre était littéral. Pour les canards, le monde n’est pas tant une scène qu’une toilette – on ne peut pas dresser un poussin comme on dresse un chien. J’avais lu que certains confectionnent des couches minuscules pour les canetons qu’ils hébergent. Cela n’a pas été mon cas.
Et puis si Leo adorait leur donner de l’amour et des Cheerios, il était beaucoup moins présent lorsqu’il s’agissait de faire le sale boulot. «Ça va, maman, je vais te laisser nettoyer», m’a-t-il généreusement offert. À la liste des rôles déjà convenus – mère, cuisinière, partenaire de jeu, ménagère et maître d’hôtel de Leo –, j’ai donc ajouté «éleveuse de canards». Après quelques semaines, Gaston et Ping avaient triplé de taille et le conte de fées a pris un nouveau tournant. Bien sûr, nous les aimions, mais ils étaient très exigeants et j’ai commencé à penser qu’il serait temps de les rendre. Pourtant, je me suis alors avisée que je n’avais aucune idée de ce qui les attendait à la ferme. La femme qui a répondu à mon appel était irritée par mes questions et m’a sèchement conseillé de consulter la dernière page du guide d’élevage de canetons – un dossier orange qui accompagnait nos volatiles à leur arrivée.
J’ai lu avec horreur qu’ils feraient probablement un succulent repas de mariage ou de banquet. Ah bon! mais nous, nous avions hébergé ces animaux, nous ne les avions pas engraissés pour l’abattoir… n’est-ce pas? S’il était évident que nous ne pouvions les garder, je ne pouvais pas davantage les conduire à leur perte.
Amis des bêtes, ne manquez pas notre rubrique réservée aux animaux.
Trouver un refuge
J’ai donc lancé une sorte d’agence d’adoption de canards et frénétiquement cherché des refuges pour animaux dans l’espoir de leur dénicher un foyer sûr. Pendant ce temps, les canetons flirtaient avec l’adolescence et des plumes floconneuses leur poussaient de manière étrange. Ping, le plus grand des deux, donnait l’impression qu’il se mettait à fumer.
Après 10 jours, je perdais espoir. Puis, j’ai reçu un courriel d’une charmante dame vivant dans une ferme à Port Perry. Elle voulait augmenter le nombre de ses canetons. Elle était végétalienne. Elle était parfaite!
Nous avons conduit Ping et Gaston à leur nouvelle demeure et, alors que nous parcourions le chemin de gravier, je me sentais comme dans un livre de Beatrix Potter. Des lapins sautillaient dans l’herbe; une balançoire pendait sous un vieil arbre; des chevaux miniatures gambadaient dans le pâturage; et des canards adultes se dandinaient, le plumage blanc et dodu comme des nuages d’été. Si la propriétaire avait proposé de m’adopter, moi aussi j’aurais volontiers déménagé. Nous avons laissé là nos canards et sommes rentrés, éprouvant la tristesse de ceux dont les enfants ont quitté le… nid familial.
«Une belle vie de canard»
La ferme où Ping et Gaston sont nés ne nous a jamais recontactés ni tenté de les récupérer. Quelques mois plus tard, cependant, leurs parents adoptifs m’ont fait parvenir une photographie: ils étaient adultes et, dans leur splendeur blanche comme neige, ils suivaient six autres canards.
«Ils vivent une belle vie de canard, m’a-t-on écrit. Ils sont libres de vagabonder et d’être avec leurs amis.» Ils ont, d’une manière ou d’une autre, trouvé ce que la pandémie nous avait ravi: la liberté et le confort de la collectivité. Leur trouver cette maison de campagne de rêve est ce que j’ai fait de mieux en 2020 – et peut-être même la seule chose que j’ai faite.
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