Le geste qui compte: Coiffeuse de l’espoir
Une journée par an, Nathalie St-Germain rend leur dignité à des femmes en manque de douceur.
Isabeau s’admire dans la glace que lui tend la coiffeuse. Son visage ressemble à ce qu’il était avant. Avant la descente aux enfers. En une heure de travail, les gestes doux de Nathalie ont réussi à atténuer les stigmates qui lui collent à la peau depuis plusieurs années: l’inceste, la violence, l’échec à répétition… Avec sa nouvelle tête, elle se sent femme à nouveau, malgré les nombreux centres d’hébergement au fil des années. «J’étais devenue une loque humaine», se souvient Isabeau. Lorsqu’elle frappe à la porte de La rue des Femmes, en 2003, la jeune femme est sans ressource. Prise sous l’aile de l’organisme, elle a réussi à sortir tranquillement de sa grande noirceur. Et c’est grâce à des gens comme Nathalie St-Germain et à son «Coiffer pour changer le monde» qu’Isabeau a relevé la tête.
Depuis 10 ans, un lundi du mois de mai, Nathalie coiffe gratuitement des femmes dans le besoin pour les aider à retrouver espoir et dignité.
Tout commence par une belle journée ensoleillée d’octobre 2001. Nathalie et une cliente à qui elle vient d’appliquer une teinture sortent de son Salon Horizon, à Montréal, pour regarder à la lumière du jour les reflets colorés se mélanger. Pendant qu’elles contemplent le résultat, une femme et son fils, visiblement sans le sou, passent près d’elles sur le trottoir. «Wow, j’aimerais tellement ça!» s’exclame la dame devant la belle coupe de cheveux. Le cœur de Nathalie chavire. Mais, plutôt que de lui offrir ses services, elle la regarde s’éloigner…
Rongée par le remords, Nathalie décide de se racheter; elle demande à l’organisme La rue des Femmes de lui recommander des femmes à qui elle pourrait refaire une beauté.
Une trentaine de pensionnaires de La rue des Femmes se rendent au Salon Horizon cette année-là. Nathalie et l’équipe de bénévoles qu’elle a recrutée les accueillent chaleureusement. Elles leur servent café et petites douceurs. Quand les coiffeuses ont terminé de jouer des ciseaux, c’est au tour des maquilleuses d’appliquer fard à joues et ombres à paupières. «Le soir, au souper karaoké, c’est émouvant de voir les femmes prendre le micro et chanter avec confiance alors qu’on les a vues entrer au salon la tête basse», mentionne la généreuse coiffeuse.
L’événement a remporté un succès tel que Nathalie le répète depuis maintenant 10 ans. Avant «Coiffer pour changer le monde», elle ne s’était jamais frottée à la misère humaine et a eu la rage au cœur en écoutant ces femmes déballer leur histoire. Mais elle se souvient aussi des fous rires incontrôlables avec certaines d’entre elles, et… des moments de doute. La coiffeuse a même failli jeter la serviette à sa première «cliente».
Mélanie, visage tuméfié et air retors, s’est adressée à elle sur un ton agressif. «Elle transpirait la douleur», se souvient Nathalie. Mais au moment où elle lui a savonné la chevelure, la dure à cuire a éclaté en sanglots: «Ça fait tellement longtemps que je ne me suis pas fait toucher doucement.» À la fin de sa séance, Mélanie est partie quêter de l’argent et a rapporté une rose à la coiffeuse.
Nathalie s’est engagée à poursuivre son projet pour au moins une décennie. Ce sont les femmes qui lui donnent l’énergie de continuer. Comme Sylvie, qui s’est retrouvée à la rue en 2006 avec sa vie dans un sac. Lorsqu’elle a participé à «Coiffer pour changer le monde», elle s’est sentie comme une princesse. «Ça remonte le moral», souligne-t-elle. Même constat pour Martine, que l’équipe de Nathalie a coiffée à quatre reprises. «C’est toujours une journée de rêve, ça me fait oublier la pression du quotidien.»
Nathalie sait très bien qu’une journée à se faire traiter aux petits oignons n’est pas une solution miracle. Elle espère d’ailleurs que tous les salons de coiffure de la province s’inspireront de son projet pour venir en aide aux femmes dans le besoin. Même si elle considère son geste comme modeste, elle sait que ce petit coin de ciel bleu peut aider des femmes à regagner leur propre estime. «C’est un tremplin pour la réinsertion sociale», assure la coiffeuse.
Isabeau, quant à elle, a repris sa vie en main. Elle travaille en garderie et a épousé un homme qui la traite avec respect. Depuis cinq ans, elle s’implique comme bénévole à la journée «Coiffer pour changer le monde», pour aider à son tour et prouver qu’il est possible de s’en sortir. «Ça n’a rien de superficiel comme événement. Ça redonne une dignité et ça permet de se reconnecter avec qui l’on était avant la noirceur», conclut-elle.
(Crédits photo: Denis Beaumont)