Selon un rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement, si le gaspillage alimentaire était un pays, il serait le troisième émetteur au monde de gaz à effet de serre. On y apprend aussi que chaque Canadien jette en moyenne 79 kilos de nourriture par année, soit 20 kilos de plus que son voisin américain. Et pourtant, réduire son gaspillage alimentaire pourrait faire économiser jusqu’à 1700$/année!
Ces chiffres, Jean-François Archambault les connaît très bien. Il a d’ailleurs vu de près les mauvaises habitudes de gestion alimentaire au Québec. Pour ce diplômé en gestion hôtelière de l’Institut du tourisme et de l’hôtellerie du Québec ayant longtemps travaillé comme serveur, elles devaient changer. Sa réponse: la fondation de La Tablée des chefs, en 2002, une entreprise sociale destinée à récupérer les (nombreux) surplus générés par les hôtels, les restaurants, etc. En 2018, la Tablée livrait près de 670 000 portions à des personnes et à des familles en situation d’insécurité alimentaire. Sans compter son volet éducatif (Les Brigades culinaires, Cuisine ton avenir) pour donner aux jeunes du primaire et du secondaire le goût de mettre la main à la pâte, les techniques culinaires étant de moins en moins enseignées à l’école comme à la maison.
En mars 2020, à l’aube d’une pandémie qui allait bouleverser nos vies et précipiter beaucoup de gens dans un isolement angoissant, Jean-François Archambault ne s’est pas tourné les pouces. Il a mobilisé les plus grands chefs du Québec tout à coup réduits au chômage, et favorisé la réouverture des cuisines pour répondre aux besoins urgents de milliers de Québécois en situation précaire. Le programme Cuisines solidaires a suscité une mobilisation sans précédent, mais son combat contre le surpoids de nos poubelles est loin d’être terminé.
Le gaspillage alimentaire: une préoccupation?
Pendant vos études et vos débuts professionnels dans les années 1990, est-ce que le gaspillage alimentaire était une préoccupation?
Il y avait davantage un éveil dans le milieu environnementaliste que dans celui des affaires et de l’hôtellerie. Lorsque je travaillais comme serveur dans les banquets, j’étais proche des chefs, j’aimais me retrouver dans les cuisines, et je n’en revenais pas du gaspillage. Les employés pouvaient piger dans ce qui restait – uniquement sur place, on ne pouvait rien apporter chez soi –, mais on aurait pu facilement nourrir une centaine de personnes avec la nourriture destinée à une salle qui en contenait 500. Les cuisiniers, ce sont des gens passionnés, et je ne pouvais pas comprendre qu’ils acceptent ça sans faire quelque chose. Tout allait visiblement trop vite, et il fallait les aider. Mais à l’époque, est-ce que l’industrie était prête? Dans certains cas, je dirais qu’elle était très fermée à cette idée de récupérer de la nourriture pour la redonner.
Même combat pour Guillaume Cantin qui a choisi de s’attaquer au gaspillage alimentaire, voici son témoignage.
La Tablée des chefs
La Tablée des chefs, c’était pour vous une façon de renverser la vapeur?
Les surplus que l’on récupère, dans les hôtels ou les banquets, ce sont des aliments de qualité. Si on veut réduire le gaspillage, il faut remettre en question la façon de travailler dans les cuisines.
Notre objectif, ce n’est pas que toutes les organisations nous donnent leurs surplus alimentaires, mais de leur faire prendre conscience de la réalité du gaspillage et de changer leurs méthodes: s’ils nous en donnent moins l’année suivante parce qu’ils ont de moins en moins de surplus, notre objectif est atteint!
Mais ne pas récupérer ces aliments pour lutter contre l’insécurité alimentaire, c’est pour moi un non-sens. Plusieurs militants disent que les banques alimentaires ne sont pas la solution pour contrer la pauvreté. À long terme, je suis d’accord, on n’en voudrait pas de ces banques, mais en ce moment, c’est une façon de nourrir des gens qui ne mangent pas à leur faim.
Le saviez-vous: IKEA Canada a lancé un livre de recettes pour cuisiner les retailles alimentaires.
Ce que nous a appris la pandémie
Et beaucoup de gens ont eu faim au cours de la dernière année. Croyez-vous que les Québécois auront tiré quelques leçons de la pandémie en termes de gaspillage alimentaire?
Ils ont été forcés de cuisiner davantage, ou du moins d’analyser leur manière de consommer, et cette prise de conscience me donne espoir. Les gens vont sûrement retomber dans leurs mauvaises habitudes, dans leur routine, mais le gaspillage alimentaire, c’est l’affaire de tous. Et il faut collectivement s’indigner d’en être les champions, surtout quand on sait que trois millions de tonnes de nourriture ont pris le chemin des dépotoirs canadiens en 2019.
Ne jetez plus ces résidus alimentaires que l’on devrait manger!
Prendre le temps de cuisiner
Vous qui êtes père de cinq enfants, que répondez-vous aux parents à bout de souffle qui affirment ne pas avoir le temps de cuisiner?
Il ne faut pas que ça soit compliqué, avoir ses produits à portée de la main, bref, planifier c’est la clé ! Lorsqu’on cuisine, on peut faire des recettes en double: ce n’est pas beaucoup plus long, et on en met de côté pour la semaine suivante. À la fin d’une journée où tu n’as vraiment pas le goût de cuisiner, tu es prêt. Il est certain que bien manger pourrait sauver la planète!
Le meilleur outil contre le gaspillage alimentaire
Apprendre aux jeunes à cuisiner, est-ce une bonne façon de leur apprendre à moins gaspiller?
C’est le meilleur outil contre le gaspillage alimentaire. Acquérir des compétences et des connaissances, ça permet d’être créatif, de développer le goût pour intégrer des choses, d’avoir des idées face à des aliments plus ou moins connus. Quant aux adultes, l’éducation, c’est une chose, mais il faut aussi passer à l’action, revoir certaines habitudes, et surtout leur apprendre à sauver du temps.
Qu’est-ce qu’ils vont gagner à changer? Discuter uniquement de l’impact environnemental du gaspillage, ce n’est pas suffisant pour convaincre.
Commencez par cette recette facile de quesadillas pour cuisiner avec les enfants.