Petit guide de la santé intestinale
Mis à jour: Avr. 13, 2022
Les bactéries qui vivent dans vos intestins influent sur votre propension aux allergies et à la dépression, parfois même sur l’efficacité des médicaments que vous prenez. Prenez soin de votre santé intestinale.
Dorloter son microbiote
Il y a une dizaine d’années, Kaitlyn, une travailleuse sociale ontarienne de 28 ans, est tombée gravement malade. Elle était douloureusement constipée, faisait des accès de fièvre et perdait du poids. «Si je mangeais trop, je vomissais», se rappelle-t-elle.
Des tests ayant exclu la maladie de Crohn et la colite, son médecin de famille a diagnostiqué un syndrome du côlon irritable (SCI), trouble chronique qui provoque des crampes, de la douleur et des ballonnements ainsi que de la constipation ou de la diarrhée.
Quoique incurable, le SCI répond bien à certains changements dans le mode de vie. Selon une diététiste, les ennuis qu’éprouvait Kaitlyn résultaient probablement d’un déséquilibre bactérien dans ce qu’on appelle le microbiote intestinal ou flore intestinale de la patiente. Elle lui a recommandé de prendre des probiotiques – comprimés renfermant des souches bactériennes spécifiques – pour corriger la situation.
Après quelques jours, Kaitlyn se sentait déjà beaucoup mieux. «La douleur et la fièvre avaient disparu, et je pouvais manger sans crainte de vomir», dit-elle. Elle devait encore éviter certains aliments susceptibles de déclencher une crise, mais avait commencé à reprendre du poids.
Notre microbiote intestinal a une grande influence sur notre santé physique et mentale. Mais de quoi parle-t-on au juste? Imaginez un pot rempli de nourriture fermentée, grouillante de bactéries, comme de la choucroute. Celles du chou prolifèrent pendant qu’il trempe dans la saumure, à l’abri de l’air. Privées d’oxygène, elles décomposent des molécules de la nourriture – les hydrates de carbone, par exemple – dégageant un acide qui donne à la choucroute son goût piquant. C’est un peu ce qui se produit dans vos intestins chaque fois que vous mangez: des bactéries y décomposent la nourriture et la transforment en vitamines, acides aminés et autres nutriments essentiels – et, oui, en gaz. D’ailleurs, méfiez-vous de ces aliments qui provoquent gaz et maux de ventre.
Ces bactéries commencent à occuper le terrain dès votre naissance. S’y ajoutent des variétés provenant du lait maternel, des lieux où vous vivez, de l’environnement, des personnes que vous rencontrez, de la nourriture que vous mangez, même du chien de la maison. À trois ans, votre microbiote intestinal a en gros la composition qu’il aura à l’âge adulte.
Les divers types de bactéries qui vivent dans vos intestins vous aident à digérer, mais influent sur d’autres parties de votre corps, dont le système immunitaire, le cerveau et l’appareil cardiovasculaire.
«L’intestin est un écosystème en soi, résume Sean Gibbons, spécialiste de la recherche sur le microbiote et professeur adjoint à l’Institut de biologie systémique de Seattle, dans l’État de Washington. Il est chaud, humide, mouillé comme une forêt tropicale.» Et comme tout écosystème prospère, poursuit-il, il est en bonne santé quand sa flore est variée, forte de centaines de genres de bactéries.
Deux des plus importants sont les firmicutes et les bactéroïdes, qui dévorent la fibre alimentaire et décomposent les hydrates de carbone complexes. Ils produisent ainsi des acides gras à chaîne courte, molécules microscopiques qui préservent l’intégrité de la paroi intestinale. (Cette muqueuse doit être poreuse pour laisser passer les nutriments, mais une porosité excessive peut causer de l’inflammation.) Ils ont en outre des propriétés anti-inflammatoires et un effet bénéfique sur le cerveau.
Vous avez tout intérêt à bien nourrir ces bactéries symbiotiques, car si elles ne trouvent pas assez à manger dans votre tube digestif, elles exploiteront une autre source de nutriments.
«Elles vont attaquer le mucus de vos intestins», précise Sean Gibbons. Et alors, votre système immunitaire prendra beaucoup de bactéries intestinales pour des intrus et provoquera une réaction qui peut causer divers troubles intestinaux, dont une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MII).
On vous révèle ce que votre intestin essaie de vous dire sur votre santé!
Les signes d’un déséquilibre intestinal
Signe de déséquilibre: votre transit intestinal est obstinément anormal
La maladie de Crohn et la colite ulcéreuse – les deux formes de la maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MII) – provoquent de l’inflammation et des ulcères de la muqueuse intestinale, causant de la douleur, de la diarrhée et une perte de poids. Environ 260 000 Canadiens en sont atteints. Selon le Dr Eugene Chang, directeur du programme de médecine microbiotique de l’université de Chicago, leur cause exacte n’est pas connue, mais certains pensent que les victimes de la MII ont une prédisposition génétique à la suractivation immunitaire et que leur microbiote favorise de façon subtile les bactéries qui préfèrent un milieu inflammatoire. «Ces bactéries excitent encore plus le système immunitaire, produisant un cercle vicieux qui déclenche la MII.»
Beaucoup plus répandu que la MII, le SCI touche jusqu’à 11% de la population mondiale. Ses symptômes ressemblent à ceux de la MII, sauf pour l’inflammation et les ulcérations. Sa cause n’est pas plus claire que celle de la MII, mais des études ont révélé que des patients atteints de SCI ont un microbiote différent et que les probiotiques peuvent parfois les soulager.
Commencez par trouver l’origine de votre mal de ventre.
Signe de déséquilibre: vos médicaments n’agissent pas
Les ordonnances des médecins n’ont pas toujours l’effet souhaité, et il arrive que la responsabilité en revienne au microbiote intestinal. De même que les microbes décomposent la fibre et les amidons de la nourriture, de même s’attaquent-ils parfois à des produits pharmaceutiques, rendant leur action imprévisible.
En 2019, des chercheurs de l’école de médecine de l’université Yale ont constaté que, sur 271 médicaments oraux, les deux tiers étaient affectés par le microbiote intestinal, qui détruisait environ 20% de leurs ingrédients actifs. Par exemple, si vous avez un surplus d’Eggerthella lenta – bactérie qu’on trouve chez un être humain sur trois –, la digoxine, médicament largement prescrit contre les troubles cardiaques, risque de ne pas soulager vos symptômes.
Cette entrave à la médication a des conséquences particulièrement graves dans le traitement des cancers. On a ainsi récemment découvert que le microbiote intestinal peut influer sur la progression de certains cancers et affecter la réaction à une immunothérapie et à une greffe de moelle osseuse.
De tout ce qui précède est née une science qui étudie les effets du microbiote intestinal sur ceux des médicaments: la pharmacomicrobiomique. Dans 10 à 15 ans, votre médecin pourrait analyser votre microbiote à partir d’un échantillon fécal et moduler son ordonnance – ou encore prescrire un probiotique – pour améliorer l’action d’un médicament. Des essais cliniques sont en cours pour tenter de déterminer si un cancéreux a plus de chances de survivre quand on lui prescrit des probiotiques sur mesure, un régime spécial ou une greffe fécale, un fragment de selles d’un donneur, pour rééquilibrer son microbiote.
Attention: ces maladies peuvent être déclenchées par un déséquilibre de la flore intestinale.
Signe de déséquilibre: vous n’arrivez pas à stabiliser votre poids
«Il y a deux décennies, on croyait que l’obésité et les troubles métaboliques étaient essentiellement causés par l’alimentation, dit Eugene Chang. Aujourd’hui, on sait que le microbiote intestinal joue un rôle important.»
La preuve en est faite chez la souris: quand des chercheurs de l’école de médecine de l’université de Washington ont administré des matières fécales de personnes tantôt obèses tantôt minces à des souris, les animaux qui avaient reçu les échantillons des participants obèses ont pris plus de poids et de graisse que ceux dont le greffon provenait de sujets minces, alors que les deux groupes suivaient le même régime à faible teneur en gras.
On dispose d’un début de preuve pour les êtres humains aussi: il y a deux ans, des chercheurs belges ont administré à des patients insulinorésistants en surpoids ou obèses une bactérie plus courante dans l’intestin des hommes minces. Comme dans l’expérience sur des souris, l’insulinorésistance des participants a diminué, et ils ont perdu plus de poids et de graisse que les sujets qui avaient reçu un placébo.
Signe de déséquilibre: vous déprimez
Nous pensons généralement que les troubles de l’humeur naissent dans le cerveau, mais l’intestin peut aussi en déclencher. Une étude de 2019 a découvert que les dépressifs étaient porteurs de moins de coprocoques et de Dialister que la plupart des gens. D’autres travaux ont établi que les souris ayant reçu une greffe fécale d’êtres humains dépressifs le devenaient également.
Pourrait-on améliorer la santé mentale en modifiant le microbiote? La recherche est en cours, mais une expérience australienne de 2017 a donné des résultats prometteurs. Ses sujets étaient atteints de dépression grave et prenaient des médicaments ou suivaient une thérapie. La moitié d’entre eux ont poursuivi leur traitement tout en adoptant un régime méditerranéen riche en grains entiers, en protéines maigres, en légumes et en fruits. L’atténuation des symptômes dépressifs a été beaucoup plus marquée dans ce groupe-là que dans l’autre.
Vous serez surpris de voir ce que vos flatulences révèlent sur votre santé!
Signe de déséquilibre: vous avez des allergies
Un microbiote diversifié peut avoir un effet régulateur sur le système immunitaire, surtout en bas âge. Si le vôtre est hypersensible en raison des particularités de votre flore intestinale, vous courez plus de risques de souffrir d’allergies, d’asthme et d’eczéma.
D’où l’importance de l’exposition à une large gamme de bactéries très tôt dans la vie. Les enfants nés par voie naturelle ont moins d’allergies que ceux qui sont nés par césarienne, tout comme les personnes qui ont grandi dans une ferme ou avec des animaux de compagnie, ou encore avec des frères et sœurs plus âgés.
D’après Brett Finlay, professeur de microbiologie à l’université de la Colombie-Britannique et auteur de Let Them Eat Dirt, l’administration d’antibiotiques peut avoir des effets graves: en tuant les microbes qui vous rendent malade, ils détruisent sans nuance la flore diversifiée qui garde votre intestin en bonne santé, ce qui peut laisser votre microbiote inapte à combattre ce qui cause les allergies, l’asthme et l’eczéma. Brett Finlay et des collègues de l’UBC ont d’ailleurs découvert que les sujets auxquels on avait prescrit des antibiotiques avant l’âge d’un an couraient deux fois plus de risques d’être asthmatiques à cinq ans – risque qui augmentait avec chaque traitement.
Les effets d’un microbiote peu diversifié se font sentir même à l’âge adulte. En analysant la flore intestinale de plus de 1800 patients souffrant d’allergies, des chercheurs du programme American Gut Project ont constaté que celle des victimes d’allergies saisonnières et aux fruits à coque était moins variée.
Apprenez-en plus sur les allergies alimentaires les plus courantes chez les adultes.
Comment améliorer votre flore intestinale
Il n’y a pas de panacée, bien que des chercheurs espèrent mettre au point des tests assez détaillés pour qu’on puisse ensuite prescrire des probiotiques sur mesure ou faire des recommandations adaptées à chaque cas. Il y a toutefois des mesures qu’on peut prendre dès maintenant.
Consommez plus de fibres pour améliorer votre flore intestinale
La preuve est faite que manger plus de fibres améliore le microbiote. Les fibres sont en effet le principal nutriment des bactéries intestinales les plus importantes, et si elles viennent à manquer, beaucoup peuvent mourir de faim. Donc, elles fabriquent moins d’acides gras à chaîne courte et d’autres éléments essentiels de votre régime. Pis encore, elles peuvent s’attaquer au mucus de la paroi intestinale.
Malheureusement, la plupart des Occidentaux ne mangent pas assez de fibres. Santé Canada en recommande 25 grammes par jour pour les femmes et 38 grammes pour les hommes, mais beaucoup n’y arrivent pas. Pour avoir votre dose de fibres, assurez-vous de manger cinq portions de fruits et de légumes chaque jour, plus un glucide à grains entiers à chaque repas.
Diversifiez votre alimentation pour améliorer votre flore intestinale
Votre objectif ultime, c’est un microbiote intestinal diversifié. Or, il n’y a pas que les fibres qui nourrissent les bonnes bactéries – d’autres éléments de nos repas y contribuent. Un régime varié, comportant des fruits et des légumes de multiples couleurs et types, est un gage de santé intestinale.
À l’inverse, prévient Eugene Chang, les aliments transformés très gras affectent des souches bactériennes utiles et réduisent la diversité du microbiote. Si vous substituiez des frites à la salade, poursuit-il, «votre microbiote changerait en seulement 24 heures, car il y aurait réduction des microbes bénéfiques que les fibres végétales favorisent».
Votre transit intestinal vous remerciera si vous optez pour ces aliments santé.
Limitez la prise d’antibiotiques pour améliorer votre flore intestinale
Les antibiotiques sauvent des vies, mais déséquilibrent le microbiote en tuant aussi les bactéries qui protègent la muqueuse intestinale. D’ordinaire, elles réussissent à évincer celles qui vous rendent malade, tout comme les mauvaises herbes ont plus de mal à se répandre dans une pelouse luxuriante que sur un terrain dénudé, mais une fois que les antibiotiques ont tout ravagé, des bactéries nocives peuvent coloniser l’intestin avant que les bonnes ne se soient rétablies. Le symptôme le plus courant de cette invasion est la diarrhée. Quand le microbiote est en bonne santé, il peut s’en remettre, mais s’il est déséquilibré au départ, affirme Sean Gibbons, la prise d’antibiotiques risque de provoquer le SCI. Pour prévenir ces diarrhées, demandez à votre médecin comment conjuguer antibiotiques et probiotiques. Une expérience menée en 2017 à l’université de Copenhague a montré que seulement 8% des sujets qui prenaient des probiotiques ont eu de la diarrhée sous antibiotiques contre 18% des autres à qui on avait donné un placébo.
Surtout, assurez-vous d’avoir vraiment besoin d’un antibiotique avant d’en prendre. D’après les Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies, au moins 30% de ces ordonnances sont inutiles.
Envisagez de prendre des probiotiques pour améliorer votre flore intestinale
Les probiotiques peuvent nous épargner des diarrhées durant nos séjours dans des lieux où les bactéries de l’eau et de la nourriture sont différentes de celles de notre pays et ils soulagent parfois les victimes du SCI. Mieux vaut consulter un professionnel de la santé capable de recommander des types spécifiques avant d’essayer.
Les scientifiques s’appliquent à mieux comprendre les probiotiques. «Dans 5 à 10 ans, prédit Sean Gibbons, je crois qu’il y aura des probiotiques de qualité médicale sur le marché.»
Ceci vous aidera à faire la différence entre les prébiotiques et les probiotiques.
Bougez pour améliorer votre flore intestinale
Faire régulièrement de l’exercice, c’est bon pour votre microbiote aussi. Selon une étude de 2016 réalisée à l’université de Colombie-Britannique, les athlètes jouissant de la meilleure forme cardiorespiratoire – marqueur de l’efficacité avec laquelle le corps amène l’oxygène là où il en faut – avaient une flore intestinale plus variée. Une autre étude, d’origine espagnole, a constaté que les femmes qui faisaient trois heures d’exercice par semaine – ne serait-ce que marcher d’un bon pas – amélioraient la composition de leur microbiote intestinal.
5 Clés pour la santé intestinale
-
- Un animal de compagnie: les gens qui grandissent avec un animal de compagnie ont des microbiotes plus complexes.
- Le grand air: la fréquentation de la nature vous expose à de bonnes bactéries.
- Le régime méditerranéen: les légumes, les fruits, les grains entiers et beaucoup de fibres, c’est crucial.
- Les probiotiques: il semble bien qu’ils atténuent le syndrome du côlon irritable.
- Le lait maternel: il est essentiel pour le développement intestinal et cérébral des bébés.
Inscrivez-vous à notre infolettre pour recevoir de l’information fiable sur la santé!
