L’art de cuisiner le pain frit
L’histoire de ce délice en est une de résilience et d’esprit de communauté.
Dans une version de sa chanson Frybread lancée en 1996, Keith Secola, un artiste folk-rock ojibwé, disait qu’on ne peut pas faire grand-chose avec du sucre, de la farine, du saindoux et du sel, mais qu’on peut y ajouter un ingrédient essentiel: l’amour. Depuis sa création dans les années 1800, le pain frit (frybread en anglais) est devenu un aliment réconfort culturellement important au sein des communautés autochtones partout au Canada et aux États-Unis.
La saveur, la couleur et la taille de ces pains ronds de pâte frite diffèrent en Amérique du Nord, chaque famille et communauté ajoutant sa touche personnelle. Ben Jacobs est copropriétaire du Tocabe, un restaurant de Denver au Colorado, qui propose du pain frit et d’autres plats d’inspiration autochtone. Il a déclaré au New York Times: «Notre pain frit ne sera jamais comme celui de votre mère ou de votre tante.»
Malgré la variété de recettes, la plupart d’entre elles ont des ingrédients en commun. Les ingrédients de base – farine, poudre à pâte ou bicarbonate de soude et sel – sont mélangés au fouet, puis pétris en une boule de pâte en utilisant de l’eau ou du lait. (D’autres recettes utilisent du babeurre, reconnu par certains pour rendre le pain plus savoureux.) Une fois levée, la boule de pâte est divisée en morceaux et roulée en rondelles; on y fait quelques trous pour aider le pain à rester plat quand il est frit dans le saindoux, le shortening ou l’huile végétale jusqu’à ce qu’il devienne moelleux, doré et croustillant.
Le pain frit peut être dégusté nature, avec du miel, du beurre ou de la confiture ou encore saupoudré de sucre à glacer. Pour une version plus nourrissante, on le transforme en taco en ajoutant de la laitue, du bœuf haché, des tomates en dés, des haricots et du fromage râpé.
Un symbole de survie pour les communautés autochtones
Aussi apprécié que soit le pain frit, ce délice très calorifique – un seul pain nature contient 500 calories et 20 grammes de gras – représente aussi un douloureux symbole de survie à la suite du déplacement colonial forcé de peuples autochtones dans tout le continent.
Une légende raconte que le pain frit aurait d’abord été cuisiné par les Dinés (ou Navajos). En 1864, ils furent forcés de quitter leurs terres ancestrales dans l’est de l’Arizona et l’ouest du Nouveau-Mexique et de marcher près de 500 kilomètres de Fort Defiance, en Arizona, à Bosque Redondo, au Nouveau-Mexique. Des centaines d’entre eux sont morts de faim pendant le trajet. Parmi les ingrédients bon marché que le gouvernement américain leur donnait en rations quotidiennes, il y avait de la farine de blé et du saindoux. Selon la légende, les Navajos faisaient frire la farine souvent gâtée pour en éliminer les parasites.
Le terme anglais bannock (banique en français), qui vient du mot gaélique bannach et qui signifie «bouchée», est souvent utilisé comme synonyme de frybread. Bien que similaire, la banique est généralement plus compacte que le pain frit puisqu’elle ne contient habituellement pas de levain. La banique se cuisine dans les communautés micmaques, inuites et ojibwés, mais a d’abord été importée sur ce continent par les colons écossais et les marchands de fourrures aux XVIIIe et XIXe siècles.
Aujourd’hui, un mouvement naissant pour la souveraineté alimentaire souhaite revitaliser les aliments traditionnels, dont le pain frit ou la banique ne fait pas partie. «Il n’y a pas de tradition orale à enseigner concernant le pain frit», écrit dans la revue Native American and Indigenous Studies l’historien Devon A. Mihesuah, professeur à l’université du Kansas et citoyen engagé de la nation Choctaw. En sa qualité d’aliment durable, le pain frit témoigne de la résilience des communautés autochtones face aux déplacements forcés et à la colonisation.
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