Stephen Hawking : l’homme cerveau
L’un des plus brillants esprits du siècle dernier vient de s’éteindre. Reader’s Digest a fouillé dans ses archives et vous
L’un des plus brillants esprits du siècle dernier vient de s’éteindre. Reader’s Digest a fouillé dans ses archives et vous a déniché une belle entrevue réalisée il y a plusieurs années.
C’est avec un grand sourire espiègle que Stephen Hawking vous accueille dans son bureau de l’université de Cambridge, en Angleterre. Derrière ses lunettes cerclées d’acier, une lueur de complicité fait pétiller ses yeux bleus. À quarante-deux ans, cet éminent professeur de mathématiques a le visage d’un étudiant. Mais son corps, débile et grêle, tassé dans un fauteuil roulant, c’est celui d’un petit vieillard grabataire. Et il s’exprime si laborieusement qu’on a beaucoup de mal à le comprendre.
En dépit de ces infirmités, peut-être même à cause d’elles, il a fait accomplir à la physique quelques-uns de ses plus grands progrès depuis Einstein, auquel souvent on l’a comparé.
Certains attendent de lui la théorie unitaire qui engloberait à la fois la relativité générale et la mécanique quantique. Ce serait un des plus brillants exploits de l’histoire des sciences, car ces deux fondements de la physique moderne rendent compte de comportements apparemment contradictoires de la matière. La théorie de la relativité générale affirme qu’a l’échelle des planètes, des étoiles, des galaxies et de l’univers tout entier, ce comportement est commande par la gravite, donc prévisible.
La mécanique quantique, au contraire, le regarde, a l’échelle de l’atome, comme entièrement régi par le hasard. Einstein, qui passa les trente dernières années de sa vie à essayer de concilier les deux théories, refusait a priori le rôle donné au hasard par la mécanique quantique. « Je ne puis croire, disait-il, que Dieu joue aux dés avec le cosmos. »
Chez certains spécialistes, la recherche d’une interaction cachée qui puisse expliquer l’une et l’autre théorie prend un caractère quasi religieux; ils sont, en effet, persuadés qu’elle doit donner accès à une compréhension fondamentale de l’univers et marquer l’avènement d’une ère nouvelle pour l’humanité. Parvenir à formuler le lien entre la relativité d’Einstein et la mécanique quantique, c’est précisément le but que s’est donné Stephen Hawking dans la vie, une vie qui est une leçon de courage en même temps qu’une démonstration de la puissance du cerveau humain.
Une maladie invalidante
Aîné de quatre enfants, Hawking a grandi dans une famille étroitement unie et d’un haut niveau intellectuel: son père était un homme de science et un chercheur. À l’université d’Oxford, où il entra en 1959, il fut un étudiant à l’esprit indépendant, plein d’humour, quelque peu indiscipliné, et fort sociable. Il fut un temps barreur d’une des équipes d’aviron.
En raison de son intelligence exceptionnelle, ses maîtres fermaient les yeux sur son peu d’assiduité à l’étude. Il ne travaillait guère, en effet. Ce qui ne l’empêchait pas de résoudre avec aisance tous les problèmes de mathématiques. Lors de l’examen final, il se présenta à un oral supplémentaire afin de décrocher la haute mention indispensable pour obtenir une bourse d’études de troisième cycle de physique à l’université de Cambridge, rivale d’Oxford. Il réussit.
C’est pendant les premiers mois de son séjour à Cambridge que devaient apparaître les symptômes de sa maladie : pertes d’équilibre, difficultés d’élocution, troubles moteurs des membres. On diagnostiqua une sclérose latérale amyotrophique, affection rare et invalidante, généralement fatale, qui rend inutilisable la musculature volontaire.
Quand il en vint à ne plus pouvoir se déplacer sans canne, Hawking sombra dans une dépression profonde. Il négligea son travail et passa le plus clair de son temps à boire.
Puis, en janvier 1963, durant un séjour dans sa famille à St. Albans, près de Londres, il fut invité à une soirée où il rencontra Jane Wilde. Elle faisait des études de langues et devait entrer au Westfield College de Londres. Stephen lui plus par son esprit brillant et la profondeur de son intelligence. Ils ne se quitteront à peu près plus et, deux ans plus tard, ils se mariaient.
Dès lors, la vie de Hawking prit un tournant décisif. Il cessa de se sentir condamné et se remit a travailler. Et puis il eut des enfants : Robert en 1967, Lucy en 1970, et Timothy Stephen en 1979.
C’est peu après son mariage que Hawking révéla son génie scientifique. Une des grandes questions de l’astronomie d’alors concernait la théorie de l’explosion originelle, aujourd’hui admise par la plupart des spécialistes. C’est en partant du phénomène de l’expansion continuelle de l’univers – concept fonde sur certaines observations d’astrophysique – et en remontant à la cause initiale par les moyens du calcul que l’on a été conduit à Ia formuler.
À l’origine du temps
L’idée que l’univers ait pu naître d’un point une unique, de densité infinie, d’ou l’espace et le temps avaient émergé simultanément, intéressait beaucoup Hawking. II y travailla en collaboration avec Roger Penrose, alors professeur a l’université de Londres et l’un des plus grands mathématiciens du monde. En 1969, il était avec lui a établir un théorème, aujourd’hui célèbre, démontrant que la théorie de la relativité générale impliquait forcement le commencement par un point d’infinie densité.
« En d’autres termes, déclare-t-il volontiers, nous avions prouvé que le temps a eu un commencement. »
Tiré du magazine: Sélection du Reader’s Digest, Juin 1984