Il n’y a pas si longtemps, les théories du complot venaient d’extrémistes de droite paranoïaques. Aujourd’hui, elles sont partout. Que s’est-il passé?
Elles ont gagné en popularité ces dernières années – surtout en 2020 avec la pandémie de COVID et le climat politique clivant aux États-Unis. La pensée conspirationniste fleurit en temps de conflits et d’instabilité. On a peur et on cherche des explications.
Il est certain que nous ne tiendrons jamais plus ces choses pour acquises.
Quelle différence entre théorie du complot et sain scepticisme?
En général, la première est une croyance qui définit un événement comme le résultat d’un plan secret le plus souvent ourdi par une puissante organisation. Prenez le cas de QAnon: ses adeptes étaient persuadés qu’une cabale était menée contre Donald Trump par des satanistes à la tête d’un réseau mondial de pédophiles.
Si la remise en cause de l’autorité est une démarche saine, la pensée conspirationniste encourage ses défenseurs à ignorer les preuves et à mal interpréter les faits. Le Pizzagate, précurseur de QAnon, prétendait que les courriels d’Hillary Clinton contenaient les codes d’un réseau clandestin de pédophiles dirigé depuis une pizzeria de Washington.
Même si les courriels de Mme Clinton faisaient l’objet d’une enquête, cela ne constitue pas la preuve de l’existence d’un réseau pédophile.
À l’approche des élections, nous nous sommes demandé si les fausses nouvelles étaient une menace pour le Canada.
Cela paraît absurde. Comment peut-on adhérer à de telles idées?
Les gens ne se lèvent pas un matin en décrétant que l’alunissage est une mise en scène. Tomber dans le panneau du complotisme est un long processus. Ça peut commencer par un sentiment d’insatisfaction, voire d’aliénation, puis il y a une vidéo partagée sur les réseaux sociaux voulant que l’alunissage est un canular. Certaines idées se normalisent et la suite est une pente glissante.
Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’il se passerait si les médias sociaux disparaissaient?
Les théories du complot viennent souvent des États-Unis. En existe-t-il ici?
Les Proud Boys, ce groupuscule qui a fait les manchettes après son assaut du Capitole, a été fondé par un Canadien expatrié. Et l’homme armé qui a défoncé le portail de Rideau Hall était un sympathisant de QAnon.
Les théories du complot les plus populaires sont-elles toujours politiques?
Souvent, mais pas toujours. Par exemple, celle qui affirme que l’armature métallique dans le soutien-gorge provoque le cancer, ou celle jurant que Bill Gates utilise les vaccins pour implanter des appareils de surveillance dans notre organisme.
Il y a par exemple des théories du complot qui circulent toujours au sujet de la mort de la princesse Diana.
A-t-on une idée de ce qui pousse les gens à y adhérer?
Oui, et ce n’est pas nécessairement ce que l’on croit. Les théories du complot ne sont pas plus répandues chez les personnes moins éduquées. On sait que l’accès à de nombreuses sources d’information les prévient, et cela a aussi à voir avec le niveau d’éducation, mais le plus souvent l’adhésion est favorisée par des événements de la vie: perte d’emploi, rupture, deuil. Ces situations poussent à l’isolement et un sujet isolé est plus réceptif – surtout s’il passe beaucoup de temps en ligne.
Comment aider un proche à ne pas verser dans les théories du complot?
Mieux vaut privilégier la prévention, car il est bien plus difficile de convaincre un adepte déjà embrigadé. Et il ne faut pas débattre de la théorie du complot. C’est même contreproductif puisque le débat ne fait qu’accentuer le sentiment d’isolement de la personne. Parler des circonstances qui l’ont rendue vulnérable reste le meilleur moyen de l’aider. Prenez souvent de ses nouvelles et encouragez les liens sociaux. Sachez quoi faire si votre famille croit aux théories du complot.
Ghayda Hassan est directrice du Réseau des praticiens canadiens pour la prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent.