Dans la tête de Khalil – entrevue avec Yasmina Khadra
Le dernier roman de Yasmina Khadra fait réfléchir. À la fois très dérangeant et révélateur, il force le lecteur à explorer ses pires craintes. Entrevue avec l’auteur.
Au début du roman, on est dans la tête de Khalil. Ce jeune marocain, qui habite en Belgique, file vers le Stade de France pour commettre l’irréparable : se faire sauter dans le RER après le match de foot. Pour écrire ce livre, Yasmina Khadra est entré dans la peau d’un jeune terroriste, non pas pour expliquer le geste, mais pour démontrer entre autres que la frontière entre les bonnes et les mauvaises décisions est parfois bien mince.
La bombe de Khalil ne va pas fonctionner, mais le protagoniste ne saisit – ou ne comprend – pas tout de suite sa chance. D’abord en colère, Khalil va peu à peu remettre en question ce qui a motivé son geste.
La force de l’amitié
L’amitié va entraîner Khalil vers le pire, et l’amitié va aussi le sauver. On se demande alors si faire le mal ne serait qu’une question de mauvaises influences… Est-ce que Khalil – qui n’est pas foncièrement méchant – aurait agi et pensé autrement s’il avait eu d’autres fréquentations? Des amis différents, comme celui qui va l’influencer ensuite?
Pour Yasmina Khadra, c’est clair : Khalil est responsable de ses choix et, bien qu’il subit de mauvaises influences, ça ne l’empêche pas de savoir qu’il est en train de dériver. « Ça ne fait pas de lui une victime, un innocent. Ils est coupable de ses choix. Il est en train de choisir la mauvaise voie et il le sait. Je n’ai pas d’empathie ni de compassion pour lui. J’ai seulement essayé d’installer sa violence dans sa propre humanité. Parce que c’est d’abord un être humain, il est capable du meilleur comme il est capable du pire. S’il a choisi la voie de la perdition, j’essaie d’expliquer comment il en est arrivé là. » Mais la faiblesse, malheureusement, c’est cette quête d’amitié, de protection : quand les jeunes sont récupérés par de bonnes paroles, pour ensuite être embrigadés. Ils se retrouvent piégés.
Dans ce roman où le sentiment d’amitié est très fort, Khalil peut aussi bien être perdu que sauvé. Ni pire, ni mieux qu’un autre, cette violence qui fait fureur en lui, pourrait naître chez n’importe qui: « Ce livre je l’ai écrit surtout pour les jeunes. Je voulais que ce roman soit étudié dans les lycées, pour permettre aux jeunes de comprendre qu’un discours insidieux est dangereux pour eux et pour la société. »
Sonder la noirceur humaine
La noirceur humaine, Yasmina Khadra l’a déjà explorée. On pense entre autres à Ce que le jour doit à la nuit. Dans son dernier roman, Khalil, il place son protagoniste dans une situation impossible, mais cette fois en misant sur la rédemption. Khalil ne semble pas avoir peur de la mort et voit sa mission comme un simple séjour à Paris. Mais cette attitude l’aiderait-elle à affronter l’impossible? En tout cas, s’il n’a pas peur, le monde entier a peur…
« Ce qui m’a inspiré pour écrire ce roman, c’est cette peur qui se développe dans le monde concernant les musulmans. Et parallèlement à ça, il y a la peur de la montée de l’idéologie intégriste : qu’ils soient fascistes, islamophobes, antisémites ou racistes. Je constate, en quelque part, que nous sommes en train de perdre ce qui devrait être l’essence même de l’humanité : notre propre sensibilité. »
Lorsqu’on ne trouve pas de solution à son problème, on lui cherche un coupable, souligne l’auteur. « Et le problème de l’humanité maintenant, c’est la crise financière, c’est l’exclusion du facteur humain, dans les relations aujourd’hui. Au lieu de prendre du recul et d’essayer de comprendre par elle-même son propre malheur, elle (l’humanité) devient l’actrice de son propre malheur. »
En fait, explorer la noirceur humaine permet à l’auteur d’expliquer les choses, même si certains n’aimeront pas revivre – ou voir de l’intérieur – la préparation des attentats de Paris, du 13 novembre 2015.
Retour au polar dans un thriller amoureux
Yasmina Khadra décrit avec justesse les sentiments. Après la lecture de Khalil, on a déjà hâte au prochain roman … et on est chanceux, car il sort au Québec le 10 mai 2019. « C’est un roman policier, mais littéraire, qui tente de cerner la fragilité du couple. »
Alors c’est parfait pour l’été et les vacances… oui et non. L’outrage fait à Sarah Ikker – c’est le titre du roman –, parle de la détresse du couple après l’agression de Sarah. Le couple qui se retrouve disloqué après ce drame. Quand on a cherché à en savoir un peu plus, l’auteur a préféré rester silencieux sur le sujet, pour nous laisser découvrir… Une autre excellente lecture en perspective.