Le chant d’une nation
Saviez-vous que «Ô Canada» a d’abord été l’hymne du Québec? Apprenez-en plus sur le chant national du Canada et sur son créateur.
Un serrement dans la gorge. Une bouffée de chaleur aux joues. Qui n’a pas déjà éprouvé ces émotions en écoutant «Ô Canada»? C’était peut-être au moment où notre drapeau était hissé au sommet d’un mât aux Jeux olympiques, ou encore en entendant des gens du monde entier le chanter tant bien que mal pour célébrer la citoyenneté canadienne qu’ils venaient d’acquérir quelques minutes plus tôt.
L’hymne nous émeut quand fierté, appartenance et identité se fondent en une réaction patriotique qui éclate sans avertissement et sans motif particulier – ou pour toutes sortes de raisons.
Nous ne savons pas exactement quoi faire de notre patriotisme dans ce monde moderne hyper connecté. Trop ardent, il peut même faire peur. L’expérience nous a enseigné que le nationalisme qui suit la fierté patriotique peut faire jaillir du cœur humain certaines de ses forces les plus destructrices. Le nationalisme est souvent l’ennemi juré de la civilité, de la paix, de la raison.
Or, c’est justement cela que l’hymne nous procure: fierté, amour et joie collective.
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Le «Ô Canada», qui est depuis longtemps le chant de notre pays, s’est graduellement insinué dans les cœurs du peuple, bien avant qu’il ne devienne notre hymne officiel en 1980.
Ce n’est pas aussi incongru qu’il n’y paraît. «The Star-Spangled Banner» n’a pas eu de statut officiel avant 1931. «God Save the Queen» n’a jamais été proclamé hymne national de la Grande-Bretagne. En raison de leur mélange d’émotion, de passion politique, d’histoire et de symbolisme, ces chants ont longtemps été controversés. Le nôtre ne fait pas exception. Près d’un siècle et demi après sa première apparition en 1880, le Canada anglais en a encore récemment modifié les paroles.
D’où vient donc cette mélodie qui nous émeut tant? Et qui a mis l’essence de notre pays en musique?
Eh bien, c’est l’œuvre du plus illustre des Canadiens… dont vous ignorez peut-être l’existence: Calixa Lavallée – les paroles françaises étant de Basile Routhier. Fanfaron et irrévérencieux, Calixa Lavallée était à la fois compositeur, interprète, entrepreneur et éducateur. Ayant quitté le toit paternel en 1855, à 12 ans, il s’est produit partout aux États-Unis dans une troupe de ménestrels blackface, s’est battu pendant la guerre civile américaine, a monté des opéras, est devenu un musicien réputé aux États-Unis, a étudié à Paris et tenté en vain de fonder un conservatoire national au Québec avant de mourir en exil aux États-Unis.
Et dans tout ça, il a aussi composé la musique de notre hymne national.
Le saviez-vous: le Canada a son lot de grands mystères non résolus!
La naissance de cet hymne nous semble mystérieuse parce qu’elle témoigne d’une blessure que nous essayons sans cesse de guérir ou de cacher: le Canada est issu d’une rencontre de la civilisation française et de la civilisation anglaise, sans parler des peuples indigènes qui ont été colonisés. Si personne n’est sûr des paroles anglaises de «Ô Canada», c’est parce qu’elles n’existent pas, ou plutôt n’existaient pas quand la chanson a été créée. «Ô Canada» n’a pas été écrit en anglais pour les Canadiens anglais, mais en français pour les Canadiens français.
Il a été entonné pour la première fois le jour de la Saint-Jean-Baptiste, fête nationale du Canada français, parce qu’il avait été commandé en 1880 par la Société Saint-Jean-Baptiste, qui voulait en faire un «chant national» – un hymne propre aux Canadiens français. Toutes les versions anglaises sont soit des traductions de l’original, soit des textes originaux adaptés à la musique. L’histoire de Calixa Lavallée et de son hymne est essentiellement un récit du Canada français.
Pour comprendre cet hymne, il faut se replacer dans la seconde moitié du XIXe siècle, au moment où deux cultures, deux religions, deux économies s’affrontent dans un pays en gestation au carrefour de vieilles haines et de nouvelles avenues politiques. À l’époque, les forces du changement se télescopent sur le continent nord-américain: un colonialisme britannique déclinant; une Amérique affaiblie par la guerre civile; un Canada à la fois effrayé et exalté par son avenir; un Québec déchiré par son passé, son présent et son futur. Telle est la toile de fond de la vie de Calixa Lavallée.
Ajoutez à cela un artiste de très grand talent, fou d’aventure, un esprit clair et concis, et vous obtenez une belle histoire – celle d’un homme qui, au printemps de 1880, s’assoit devant son piano à Québec et se relève bientôt en tenant au creux de la main l’âme d’une nation sur une feuille de papier.