Sophie Desmarais: tout faire pour être heureuse
Sophie Desmarais a grandi dans une cage dorée. Il lui a fallu du temps, et du courage, pour en scier les barreaux.
Sophie Desmarais appartient à l’une des plus riches familles du Canada, et ses parents, Paul et Jacqueline Desmarais, formaient un couple tout aussi illustre: lui puissant homme d’affaires à la tête de Power Corporation, elle grande mécène et philanthrope jusqu’au Metropolitan Opera, à New York. On pourrait dire aujourd’hui qu’elle poursuit son œuvre, très engagée dans la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais qui lutte contre l’intimidation, soutenant aussi l’Orchestre Métropolitain, dont le chef, Yannick Nézet-Séguin, fut longtemps un protégé de sa mère Jacqueline.
Or, derrière ces réussites, et ces apparences rutilantes, Sophie Desmarais a le plus souvent préféré l’ombre à la lumière, et pas par coquetterie. Sa trajectoire personnelle fut parsemée d’épisodes douloureux, d’abord au sein d’une famille plus empreinte de règles strictes que de chaleur humaine, ponctuée aussi de mépris et d’humiliations, dont dans un chic pensionnat en Suisse, perpétuelle souffre-douleur de ses camarades de classe. Cette succession d’événements provoquera en elle plusieurs troubles alimentaires, flirtant parfois avec l’idée d’en finir, mais toujours capable de relever la tête.
En 2021, elle qui jusque-là n’avait écrit que pour elle-même, voilà qu’elle décide de prendre la plume pour lever le voile sur ses souffrances, dévoilant ainsi un visage moins glamour du milieu dans lequel elle a grandi. Dans Tout pour être heureuse… (Éditions Michel Lafon), écrit à l’encre d’une franchise désarmante, Sophie Desmarais refuse maintenant de se laisser définir par son seul nom de famille. Ses combats, aussi bien intérieurs que pour une plus grande justice sociale, elle les mène la tête haute.
Votre livre a paru en 2021, et on peut présumer que plusieurs personnes de votre entourage l’ont déjà lu. Avez-vous l’impression que le regard qu’on pose sur vous a changé depuis?
Des gens que je ne connaissais pas l’ont lu, et l’ont trouvé extraordinaire. Des gens qui me connaissaient m’ont dit qu’ils auraient tant voulu m’aider si seulement ils avaient su. Il y en a d’autres qui connaissaient mes parents et qui n’ont pas voulu croire à mon histoire: ils sont d’ailleurs les plus nombreux…
Certaines personnes ont au moins pris la peine de souligner mon courage.
Dans ce contexte, est-ce que le jeu en valait la chandelle?
Ça m’a fait beaucoup de peine, mais le plus important, c’était de raconter mon histoire. Dans ma famille, nous n’avions même pas le droit de parole, ce qui m’a complètement étouffée. En fait, j’ai vécu toute ma vie sans savoir qui je suis, car la petite fille en moi n’a jamais grandi parce qu’elle a été éduquée dans la peur. Pour m’aider à soulager mes souffrances, je suis tombée dans l’anorexie et la boulimie, ce dont je souffre encore. Mon livre participe au processus de guérison; il est important parce que l’anorexie, on n’en parle pas beaucoup, mais il y en a partout, et c’est dangereux. Même si on vit dans une certaine opulence, nous ne sommes pas protégés devant les situations de santé mentale.
Plusieurs ont cru qu’une famille aussi renommée et riche que la vôtre donnait à chacun de ses membres des possibilités infinies. Pouvez-vous les blâmer de l’avoir cru?
Mes parents ont fait des choses formidables pour la société. Mais personne ne connaît la vérité sur le fait d’être une fille dans une famille comme la mienne. Même si j’avais le désir d’accomplir quelque chose, on considérait que c’était stupide, que je n’y connaissais rien, et on n’a pas voulu me donner ma chance. À l’opposé, mon père a éduqué très tôt mes frères pour qu’ils deviennent des hommes d’affaires accomplis, ce qu’ils sont devenus. Est-ce que ce fut suffisant pour eux? Je l’ignore. Mes parents n’ont jamais vraiment su créer une famille heureuse.
Vous dressez de votre mère un portrait peu flatteur: égocentrique, exigeante, parfois même cruelle à votre égard. Tout à l’opposé de son image de grande mécène et de femme du monde!
Ma mère était extraordinaire, et absolument fascinante… en apparence. Beaucoup de gens la trouvaient drôle, exubérante et attachante; je peux très bien comprendre à quel point ils pouvaient l’aimer. Par contre, elle avait ce côté tyrannique des gens qui ne se remettent jamais en question. Pas besoin de vous dire qu’elle détestait les personnes qui avaient du mal à s’affirmer. Son énergie était débordante et elle ne se privait pas de critiquer ceux et celles qui n’avaient pas la même, dont moi. Enfant, elle m’épuisait.
Vous avez attendu le décès de vos parents avant d’écrire ce livre. Vous arrive-t-il parfois de les imaginer en train de le lire?
Ils auraient sûrement dit: elle est folle, et ne sait pas de quoi elle parle! Jamais, ils ne se seraient posé la question: est-ce vrai? Les problèmes, pour eux, n’existaient pas, il ne fallait pas en avoir. Et s’il y en avait, il ne fallait pas en parler. Je suis convaincue qu’ils auraient lu mon livre, mais je n’aurais pas voulu savoir ce qu’ils en pensaient. Pour être franche, je crois qu’ils m’auraient déshéritée. C’est pour cette raison que j’ai attendu leur décès: j’avais trop peur de leur réaction.
Si je pouvais exaucer un souhait qui vous rendrait heureuse, quel serait-il?
J’aimerais tellement que la guerre en Ukraine se termine et que notre monde retrouve enfin un peu de paix; il fut tellement secoué ces dernières années. C’est mon souhait le plus cher, et si nous avions tous le même, je suis convaincue qu’il pourrait se réaliser.
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